samedi 16 octobre 2021

Vasari (Desiderio)

Vasari, Desiderio da Settignano, sculpteur, in Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, éd. André Chastel, Paris, Berger-Levrault, 1981-1989, t. III, p. 421-422 :

"Ils ont une grande dette de reconnaissance envers le ciel et la nature, ceux qui enfantent sans peine des œuvres dotées d’une grâce que d’autres ne peuvent obtenir ni par le travail, ni par l’imitation. C’est vraiment un don céleste qui se déverse sur ces œuvres et leur confère un tel rayonnement d’élégance et de charme qu’elles attirent des gens du métier et même beaucoup de ceux qui ne le pratiquent pas. Cela tient à l’aisance de la réussite qui évite l’aspect déplaisant et dur à l’œil qu’ont souvent les œuvres laborieusement élaborées. Tous les ouvrages de Desiderio possèdent cette grâce et cette simplicité qui plaisent partout et sont unanimement reconnus."


E VITE DE' PIÚ ECCELLENTI ARCHITETTI, PITTORI, ET SCULTORI ITALIANI, DA CIMABUE INSINO A' TEMPI NOSTRI (Firenze 1550)

Hanno grandissimo obligo al cielo et alla natura quegli che senza fatiche partoriscono le cose loro, con una certa grazia che non si può dare alle opere che altri fa, né per istudio né per imitazione ; ma è dono veramente celeste che piove in maniera su quelle cose, che elle portano sempre seco tanta leggiadria e tanta gentilezza, che elle tirano a sé non solamente quegli ch'intendono il mestiero, ma molti altri ancora che non sono di quella professione. E nasce che la facilità del buono, quando si guarda, non è aspra a gli occhi per mostrarsi difficile a non essere intesa, ma è mirabile e dilettevole nella dolcezza per essere facilissima a intenderla ; come avvenne a Desiderio che nella semplicità sua fu tale, che con la grazia divina operò le sue cose. 



vendredi 15 octobre 2021

Stein (siècle)

Stein (Gertrude) Narration, première conférence, traduction Chloé Thomas (2017) : 

"C’est plutôt curieux qu’il faille cent ans pour changer quoi que ce soit c’est-à-dire pour changer quelque chose, l’humanité a l’habitude de penser en siècles et les siècles durent plus ou moins cent ans, cela fait un grand-père une grand-mère par rapport à un petit-fils ou une petite-fille si tout se passe comme il faut et souvent tout se passe effectivement à peu près comme il faut. L’humanité a l’habitude de penser en siècles d’un grand-parent à un petit-enfant parce que cela prend tout juste autour de cent ans pour que les choses arrêtent de vouloir dire la même chose qu’avant, c’est curieux très curieux que tout soit naturel mais c’est bien naturel et comme c’est naturel presque tout le monde a l’impression de quelque chose de curieux de très curieux. On se retrouve toujours à devoir se convaincre que ce qui est naturel n’est pas étrange, curieux et spécial en réalité. Et donc voilà cent ans durent bel et bien plus ou moins un siècle, c’est déterminé par le fait qu’un siècle contient un grand-parent par rapport à un petit-enfant et ça c’est ce qui différencie vraiment une époque d’une autre époque et généralement il y a une guerre ou une catastrophe qui vient souligner cette différence de telle sorte que chacun puisse en prendre conscience. C’est quelque chose de très étrange que quelque chose de si naturel soit inévitablement pour nous tous quelque chose de si étrange de si frappant de si déconcertant."

It is a rather curious thing that it should take a hundred years to change anything that is to change something, it is the human habit to think in centuries and centuries are more or less a hundred years and that makes a grandfather a grandmother to a grandson or a granddaughter if it happens right and it often does about happen right. Is it the human habit to think in centuries from a grandparent to a grandchild because it just does take about a hundred years for things to cease to have the same meaning that they had before, it is a curious thing a very curious thing that everything is a natural thing but it is it is a natural thing and it being a natural thing makes it a curious thing a very curious thing to almost anybody's feeling. One is always having to talk to one's self about it that a natural thing is not really a strange and a peculiar and a curious thing. So then there we are a hundred years does more or less make a century and this is determined by the fact that it includes a grandparent to a grandchild and that that is what makes it definitely different one time from another time and usually there is a war or a catastrophe to emphasize it so that any one can know it. It is a very strange thing that such a natural 'thing is inevitably to all of us such a strange thing such a striking thing such a disconcerting thing. 



jeudi 14 octobre 2021

Joyce (baby tuckoo)

Joyce, Portrait of the artist as a young man, incipit : 

"Once upon a time and a very good time it was there was a moocow coming down along the road and this moocow that was coming down along the road met a nicens little boy named baby tuckoo.

His father told him that story : his father looked at him through a glass : he had a hairy face.

He was baby tuckoo. The moocow came down the road where Betty Byrne lived : she sold lemon platt.

       O, the wild rose blossoms

       On the little green place.

He sang that song. That was his song.

       O, the green wothe botheth.

When you wet the bed first it is warm then it gets cold. His mother put on the oilsheet. That had the queer smell.

His mother had a nicer smell than his father. She played on the piano the sailor’s hornpipe for him to dance. He danced :

Tralala lala,

Tralala tralaladdy,

Tralala lala,

Tralala lala.


traduction Cotté (2014) : 


"Il était une fois, et c’était une très belle fois, une meuh-meuh descendait la route et cette meuh-meuh qui descendait la route rencontra un zoli petit garçon nommé bébé coucou...

Son père lui racontait cette histoire ; son père le regardait au travers d’un verre : son visage était poilu.

Bébé coucou c’était lui. La meuh-meuh descendait la route où vivait Betty Byrne – elle vendait des guimauves au citron.

Oh la rose sauvage fleurit

Sur le petit endroit vert. 

Il chantait cette chanson. C’était sa chanson. 

Oh, la ‘ose ve’te fleu’it.

Quand on fait pipi au lit, c’est tout chaud puis ça refroidit. Sa mère mettait un drap ciré. C’est ça qui avait une drôle d’odeur.

L’odeur de sa mère était plus agréable que celle de son père. Elle jouait au piano The Sailor’s Hornpipe pour qu’il dansât. Il dansait :

Tralala lala

Trala tralalère

Tralala lala

Tralala lala"



traduction  Savitzky / Aubert (1982) :


"Il était une fois, et c’était une très bonne fois, une meuh-meuh qui descendait le long de la route, et cette meuh-meuh qui descendait le long de la route rencontra un mignon petit garçon nommé bébé-coucouche...

C’était son père qui lui racontait cette histoire ; son père le regardait à travers un verre ; il avait un visage poilu.

Bébé-coucouche, c’était lui. La meuh-meuh descendait le long de la route où vivait Betty Byrne : elle vendait des nattes de sucre au citron.

Oh la rose sauvage fleurit

Sur le petit endroit vert...

Il chantait cette chanson. C’était sa chanson.

Oh la hôse vêhte fleuhit.

Quand vous mouillez votre lit, d’abord c’est tiède, et puis ça devient froid. Sa mère lui mettait une toile cirée. C’est de là que venait la drôle d’odeur.

Sa mère avait une odeur plus agréable que son père. Elle jouait au piano la gigue des matelots pour le faire danser. Il dansait :

Tralala lala

Tralala lalaire,

Tralala lala

Tralala lala.


mardi 12 octobre 2021

Stein (Ida)

Stein (Gertrude), Ida, incipit, traduction Mauroc (1978) :

"Il y avait un bébé qui venait de naître et qui s’appelait Ida. Sa mère l’avait retenu de ses mains pour empêcher Ida de naître mais le moment venu Ida était venue. Et avec Ida était venue sa jumelle, et c’est comme ça qu’elle était là, Ida-Ida.

La mère était douce et gentille et le père aussi. Toute la famille était douce et gentille sauf la grande-tante*. C’était la seule exception.

Une vieille femme qui n’était pas une parente et qui avait connu la grande-tante* quand elle était jeune leur racontait toujours qu’il lui était arrivé quelque chose à la grande-tante* oh il y avait bien des années, c’était un soldat, et puis qu’il lui était né des petits jumeaux et puis qu’elle avait tranquillement, les jumeaux étaient morts, ils étaient nés comme ça, qu’elle les avait enterrés sous un poirier et que personne ne savait.

Personne ne la croyait la vieille femme c’était peut-être vrai mais personne ne le croyait, mais toute la famille les regardait toujours les poiriers et avec une drôle d’impression.

Le grand-père était doux et gentil lui aussi. Il ne leur faut pas longtemps aux cerisiers aimait-il répéter pour ne plus ressembler à des poiriers.

C’était une charmante famille mais on y perdait facilement les siens."


* "grande-tante", peu usité (alors que "grand-tante" est plus courant) vise peut-être à un effet de style que je perçois pas.



traduction Collin 

[Collin Françoise, Stein Gertrude. Ida. In: Les Cahiers du GRIF, n°21-22, 1978. Gertrude Stein. pp. 44-66.]

Il y avait un bébé à naître appelé Ida. Sa mère le tint avec ses mains pour empêcher Ida de naître mais quand vint le temps Ida vint. Et comme Ida venait, avec elle vint sa jumelle, ainsi elle fut là Ida-Ida.

La mère était douce et gentille et tel était le père. Toute la famille était douce et gentille excepté la grand-tante. Elle était la seule exception.

Une vieille femme qui n'était pas de la famille et qui avait connu la grand-tante quand elle était jeune disait toujours que la grand-tante avait eu quelque chose qui lui était arrivé oh il y avait des années, c'était un soldat, et alors la grand-tante avait eu de petites jumelles qui lui étaient nées et alors elle avait calmement, les jumelles étaient mortes alors, nées ainsi, elle les avait enterrées sous un poirier et personne ne savait.

Personne ne croyait la vieille femme peut-être que c'était vrai mais personne ne le croyait, mais toute la famille regardait toujours les poiriers et avait un sentiment curieux.

Le grand-père était doux et gentil aussi. Il aimait dire qu'un cerisier ne ressemble pas de si tôt à un poirier.

C'était une famille charmante mais ils se perdaient facilement l'un l'autre.



There was a baby born named Ida. Its mother held it with her hands to keep Ida from being born but when the time came Ida came. And as Ida came, with her came her twin, so there she was Ida-Ida. The mother was sweet and gentle and so was the father. The whole family was sweet and gentle except the great-aunt. She was the only exception. An old woman who was no relation and who had known the great-aunt when she was young was always telling that the great-aunt had had something happen to her oh many years ago, it was a soldier, and then the great-aunt had had little twins born to her and then she had quietly, the twins were dead then, born so, she had buried them under a pear tree and nobody knew. Nobody believed the old woman perhaps it was true but nobody believed it, but all the family always looked at every pear tree and had a funny feeling. The grandfather was sweet and gentle too. He liked to say that in a little while a cherry tree does not look like a pear tree. It was a nice family but they did easily lose each other. 


Dickinson (poètes)

Dickinson, poème n° 569 (circa 1862) :


"I reckon - When I count at all _

First - Poets - Then the Sun -

Then Summer - Then the Heaven of God -

And then - the List ist done -


But looking back - the First so seems -

To Comprehend the Whole -

The Others look a needless Show -

So I write - Poets - All -


Their Summer - lasts a solid Year -

They can afford a Sun

The East - would deem extravagant -

And if the Further Heaven -


Be Beautiful as they prepare 

For Those who worship Them -

It is too difficult a Grace - 

To justify the Dream -"



Traduction de Françoise Delphy :


Je compte - Quand cela me prend -

En premier - Les Poètes - Puis le Soleil -

Puis l'Été - Puis le Paradis de Dieu -

Et puis - la Liste est finie -


Mais, rétrospectivement - Les Premiers semblent tellement

Englober la Totalité -

Que les Autres ont l'air de Figurants inutiles -

Aussi j'écris - les Poètes - c'est Tout -


Leur Été - dure une Année entière -

Ils peuvent se payer un Soleil 

Que l'Orient - trouverait hors de prix -

Et si le Paradis dans l'Au-delà -


Est aussi Beau que celui qu'ils offrent 

À Ceux qui Les adorent - 

La Grâce en est trop ardue - 

Pour justifier ce Rêve -


lundi 11 octobre 2021

Romains (sommeil)

Romains (J.), Mort de quelqu'un chap. 5, Livre de Poche p. 82-83 : 

"On eut sommeil sous les combles ; au troisième dans la famille d'un garçon de banque. Par petits coups, l'âme défaisait ses pelotonnements diurnes ; le sommeil gagna les enfants du boucher, et une jeune femme qui habitait seule. Les yeux se fermaient, les oreilles devenaient sourdes ; les hommes cessaient de connaître les choses. Il s'endormit un adolescent au premier. Il s'endormit une femme au second. Alors, le sommeil fut dans tout l'étage, les trois familles s'écartèrent de leur lampe, puis l'éteignirent." 


dimanche 10 octobre 2021

Cohn (Flore)

Cohn (Norman), Les Fanatiques de l'apocalypse (Conclusions) p. 418 :

"[A]lors que l'idéologie nazie était franchement obscurantiste et atavique, l'idéologie communiste s'est toujours targuée d'être "scientifique" et "progressiste" ; ce qui a tendu à obscurcir le fait qu'elle aussi doit beaucoup à une eschatologie archaïque. Cette dette n'en est pas moins d'importance et diverse d'aspects. Chez Marx lui-même, elle apparaît principalement sous forme d'une conviction que l'histoire est un cours donné, tout près d'aboutir à l'âge ultime, âge de "liberté", où les hommes seront délivrés une fois pour toutes de toute subordination et de toute contrainte. Cette conception de l'histoire fut largement répandue et diversement exposée chez les philosophes du XVIIIe et du XI° siècles ; avant Marx, elle avait été éloquemment exposée par Lessing, Schelling et Auguste Comte, par exemple. Son origine est cependant bien antérieure, et Lessing, qui fut le premier à en donner une version modernisée, savait qu'il reprenait une tradition prophétique instaurée par Joachim de Flore."