samedi 7 mai 2022

Valéry (lucidité)

Valéry à Pierre Louÿs, lettre n° 1153 du 10 juin 1917 p. 1275 : 

"Retournant aux anciens, leur politique intellectuelle infiniment sage et l'extraordinaire sensibilité de leur balance pensante s'oppose [sic] cruellement à nos propriétés toutes contraires.  

Ces gens-là ne comptaient pas parmi les jouissances avouables, nobles, dignes des meilleurs, le fait de perdre pied. Ils sentaient le danger de très loin. Ils pressentaient l'alcool, la mystique, l'aéro[nautique], Pelléas, Apollinaire, P.L., P.V., etc."


vendredi 6 mai 2022

Diderot (style)

Diderot, Salon de 1767 O.C. t. 7 p. 224 : 

"Un homme de lettres, qui n'est pas sans mérite, prétendait que les épithètes générales et communes, telles que grand, magnifique, beau, terrible, intéressant, hideux, captivant moins la pensée de chaque lecteur, à qui cela laisse, pour ainsi dire, carte blanche, étaient celles qu'il fallait toujours préférer. Je le laisse dire ; mais tout bas je lui répondais, au dedans de moi-même : Oui , quand on est un pauvre diable comme toi , quand on ne se peint que des images triviales. Mais quand on a de la verve, des concepts rares, une manière d'apercevoir et de sentir originale et forte, le grand tourment est de trouver l'expression singulière, individuelle, unique, qui caractérise, qui distingue, qui attache et qui frappe. "



jeudi 5 mai 2022

Musil (vie)

Musil, L'homme sans qualités t. 1 2° partie, chap. 34, traduction Jaccottet :

 "Au fond  il y en a peu qui sachent encore, au milieu de leur vie, comment ils ont bien pu en arriver à ce qu'ils sont, à leurs distractions, leur conception du monde, leur femme, leur caractère, leur profession et leurs succès ; mais ils ont le sentiment de n'y plus pouvoir changer grand-chose. On pourrait même prétendre qu'ils ont été trompés,  car on n'arrive jamais à trouver une raison suffisante pour que les choses aient tourné comme elles l'ont fait ; elles auraient bien pu tourner autrement ; les événements n'ont été que rarement l'émanation des hommes, la plupart du temps ils ont dépendu de toutes sortes de circonstances, de l'humeur, de la vie et de la mort d'autres hommes, ils leur sont simplement tombés dessus à un moment donné. [...] Il leur est arrivé ce qui arrive aux mouches avec le papier tue-mouches : quelque chose s'est accroché à eux, ici agrippant un poil, là entravant leurs mouvements, quelque chose les a lentement emmaillotés jusqu'à ce qu'ils soient ensevelis dans une housse épaisse qui ne corresponde que de très loin à leur forme primitive."


mercredi 4 mai 2022

Dostoïevski


Manuscrit d'une instruction confidentielle de surveillance à l'égard de Dostoïevski (source : Arban, Dostoïevski par lui-même p. 135) :








mardi 3 mai 2022

Proust (habitude)

Proust, Albertine disparue :

"Soulevant un coin du voile lourd de l'habitude (l'habitude abêtissante qui pendant tout le cours de notre vie nous cache à peu près tout l'univers et dans une nuit profonde, sous leur étiquette inchangée, substitue aux poisons les plus dangereux ou les plus enivrants de la vie quelque chose d'anodin qui ne procure pas de délices), ils [les souvenirs] me revenaient comme au premier jour, avec cette fraîche et perçante nouveauté d'une saison reparaissante, d'un changement dans la routine de nos heures, qui, dans le domaine des plaisirs aussi, si nous montons en voiture par un premier beau jour de printemps ou sortons de chez nous au lever du soleil, nous font remarquer nos actions insignifiantes avec une exaltation lucide qui fait prévaloir cette intense minute sur le total des jours antérieurs. Les jours anciens recouvrent peu à peu ceux qui les ont précédés, et sont eux-mêmes ensevelis sous ceux qui les suivent."


lundi 2 mai 2022

Queneau (dieu)

Queneau, Les Enfants du limon, livre 8 chap. 158 :

"Daniel se prenait parfois à rire en pensant à l’idée faiblichonne que les gens pouvaient se faire de la Toute-Puissance de Dieu. Ils la limitaient selon leur bon plaisir, selon leurs faiblesses, selon leurs désirs ; ils l’accommodaient à leur sauce, comme si l’on pouvait couillonner Dieu.

Des individus qui avaient le vertige du haut d’une échelle en discouraient sans émoi de cette Toute-Puissance. Ils en bavardaient sans terreur. Ils avaient fabriqué un bonguieu à la guimauve qu’on pouvait lécher sans se râper la langue. Ils en avaient fait un bounoume intermédiaire entre le président Lebrun et le Père Noël, un petit vieux gentil qui voulait pas au-delà de ce qu’on lui concédait et qu’était prêt à tous les accommodements."



dimanche 1 mai 2022

Laflèche (langue parlée)

Laflèche (Guy), Céline, d'une langue l'autre, Études françaises, vol. 10, n° 1, 1974, p. 13-40

http://id.erudit.org/iderudit/036565ar

"La langue parlée et la langue écrite diffèrent sur un seul point, mais essentiel : le point final. On peut bien tenter de transcrire la langue parlée et la langue écrite peut toujours être prononcée, il n'en reste pas moins qu'il s'agit là de deux systèmes sémiologiques radicalement différents et que la littérature – même orale – n'appartiendra jamais qu'au deuxième. La raison, me semble-t-il, en est simple et la sagesse populaire la connaît bien lorsqu'elle traduit le brouillage sémiologique de la langue parlée 'écrite' par l'expression faire des phrases. Il est en effet paradoxal que la linguistique moderne se donne pour objet la phrase et ses éléments constitutifs et qu'elle privilégie en même temps la langue parlée qui ne la connaît pas."