samedi 9 décembre 2023

Anouilh (hypocoristiques)

Anouilh, Les Poissons rouges, acte IV : 

"Ma mouche. Ma mèche. Ma miche. Mon tout petit trognon. Guili. Guili. Raton. Ratou. Miché. Michette. Qui c'est qui fait un beau sourire à sa Mamy ? Qui c'est qui a son petit cucul tout mouillé et qui veut qu'on le sèche et qu'on le poudre ? Qui c'est qui a fait un beau caca tout propre pour faire plaisir à ses bons parents ? Ronron. Poucette. Pouçon. Mouchette. Qui c'est qui va prendre son poupouce et faire un gros petit dodo ?"


vendredi 8 décembre 2023

Williams (jardin)

Williams (Tennessee), Soudain l’Été dernier [didascalie d’introd.] trad. Guicharnaud : 

"La maison, de style gothique victorien, se fond avec le jardin – un jardin fantastique, sorte de jungle ou de forêt tropicale, évocateur de l’âge préhistorique des fougères arborescentes, d’un temps où chez les bêtes s’opérait la transformation des nageoires en pattes, des carapaces d’écailles en peau. Les couleurs de ce jardin-jungle sont violentes, d’autant plus qu’elles brillent après la pluie, dans la vapeur que fait monter la grande chaleur. Certains arbres portent d’énormes fleurs, semblables à des organes arrachés à un corps et encore luisants de sang frais. On entend des cris rauques, des sifflements stridents, des bruits de chocs, comme si le jardin était peuplé de bêtes, de serpents et d’oiseaux d’une extrême férocité."


It represents part of a mansion of Victorian Gothic style in the Garden District of New Orleans on a late afternoon, between late summer and early fall. The interior is blended with a fantastic garden which is more like a tropical jungle, or forest, in the prehistoric age of giant fern-forests when living creatures had flippers turning to limbs and scales to skin. The colors of this jungle-garden are violent, especially since it is steaming with heat after rain. There are massive tree-flowers that suggest organs of a body, torn out, still glistening with undried blood ; there are harsh cries and sibilant hissings and thrashing sounds in the garden as if it were inhabited by beasts, serpents and birds, all of savage nature.


jeudi 7 décembre 2023

Schiller (études)

Schiller, Les Brigands I, 2 (trad. Dhaleine) : 

"Je prends en dégoût notre siècle de barbouilleurs d'encre. [...] Ils grouillent maintenant comme des rats sur la massue d'Hercule, et ils étudient la moelle de son crâne, se demandent ce qu'il avait bien dans les couilles. Un abbé français nous enseigne qu'Alexandre était une poule mouillée, un professeur tuberculeux se met à chaque mot un flacon de sels sous le nez et fait une conférence sur la force. [...] Belle récompense pour vos sueurs sur le champ de bataille que de survivre dans la mémoire des collégiens et de voir ces écoliers traîner péniblement votre immortalité dans la courroie qui porte leurs livres." 


Mir ekelt vor diesem tintenklecksenden Säculum. [...] Da krabbeln sie nun, wie die Ratten auf der Keule des Herkules, und studieren sich das Mark aus dem Schädel, was das für ein Ding sei, das er in seinem Hoden geführt hat ! Ein französischer Abbé doziert, Alexander sei ein Hasenfuss gewesen, ein schwindsüchtiger Professor hält sich bei jedem Wort ein Fläschchen Salmiakgeist vor die Nase, und liest ein Kollegium über die Kraft. [...] Schöner Preis für euren Schweiss in der Feldschlacht, dass ihr jetzt in Gymnasien lebet, und eure Unsterblichkeit in einem Bücherriemen mühsam fortgeschleppt wird !


mercredi 6 décembre 2023

Sei Shonagôn (après la pluie)

Sei Shonagôn, Notes de chevet (Makura no soshi, Japon, XI° s.) trad. Beaujard : 

"Un jour du neuvième mois, la pluie qui était tombée toute la nuit cessa quand vint l'aurore. Quel ravissant tableau ! Sous les rayons éclatants du soleil matinal, les chrysanthèmes du jardin, devant la maison, laissaient couler goutte à goutte la rosée dont ils étaient mouillés. Sur les clôtures à claire-voie, sur les rameaux entrelacés, sur les tiges d’érianthe, je voyais, en lambeaux, des toiles d'araignée ; çà et là, aux fils rompus, étaient suspendues des gouttes de pluie qui semblaient des perles blanches enfilées. Je me sentais, en admirant cela, délicieusement triste. Quand le soleil fut un peu haut dans le ciel, comme la rosée qui avait fait paraître les lespédèzes si lourdes était tombée, les rameaux se mirent à remuer, puis se redressèrent tout à coup, sans qu'aucune main les eût touchés. Plus tard, je dis à d'autres personnes combien j'avais été charmée. Mais le curieux, c'est que certaines gens puissent penser que la rosée n'est pas jolie."


mardi 5 décembre 2023

Rouzeau (poème)

Rouzeau (Valérie), Sens averse :


Le cochon au fond des bois le coucou qui l’a sonné

Pour en faire une tirelire ou de plates tranches de jambon

L’animal au fond des bois est peut-être un sanglier

Et le coucou une rolex un timing d’époque vulgaire

La poule elle n’a plus de pot court-bouillon n’a plus de plumes

La vache a fini de rire son petit veau a bramé

Sur quelles pattes encore compter quels ergots se dresser et

Et zut sur quels pieds danser le petit chat est raide mort

Teinturé en rose bonbon par une gamine innocente

Ou shooté comme un ballon par des gosses bêtes et cruels

Le cochon émasculé grossit plus vite alors donc

Donc nous ne rirons plus au bois tous coucous et queues coupés !


lundi 4 décembre 2023

Monk (scène)

Luccioni (Roger), cité par Ponzio (Jacques), in "La folie Thelonious" (L'Impair p. 279-280) 

http://www.groupe-regional-de-psychanalyse.org/maj-octobre-2014/Impair%20N4-Passage-a-l-Art.pdf

[mentionné dans l'émission de Fr. Culture du 02 déc. 2023)


"L’entracte terminé, Monk n’est vraiment pas en mesure d’entrer en scène. Devant le tumulte grandissant, Roger Luccioni, qui organise cette soirée, demande aux musiciens de Monk de jouer pour faire patienter le public, pour une prestation mollement applaudie. C’est le moment que choisit Monk pour faire son entrée, toujours en manteau et chapka.

Ecoutons Luccioni : 

D’un pas de conquérant, Monk s’avance, toise avec morgue un public stupéfait, et repart en coulisses aussi brusquement qu’il en était venu. La salle explose. Les trois autres n’ont pas bougé. Ruée des organisateurs vers la loge du grand homme, stoppée net devant le spectacle de l’hercule sanglotant bruyamment sur l’épaule de sa femme. Il pleure parce que les gens l’ont sifflé, dit-elle en tapotant la joue du colosse.

Consolé, Monk revient sur scène, tourne, soupçonneux, autour de ses musiciens, parle à l’oreille du bassiste, effectue un pas de danse, saisit un chiffon oublié sur le piano et astique consciencieusement l’instrument, jette enfin le chiffon dans la fosse d’orchestre et disparaît à nouveau. En coulisses, Monk abandonne enfin son manteau d’astrakan, revient sur scène en titubant un peu, se dandine sur ses pattes comme un gros ours de foire, et s’installe enfin devant son piano...

Tout le monde retient son souffle. Monk entame alors, seul, les premières mesures d’un Body and Soul totalement déchirant. Et soudain pousse un cri, ferme rageusement le couvercle et se sauve à nouveau hors de la scène. Dans la salle, l’atmosphère est à couper au couteau.

Monk revient, agité et trémulant, couvert de sueur, dans un silence de mort. Nouveau Body and Soul tout aussi déchirant que le premier. Mais, cette fois, Monk va jusqu’au bout, superbe, formidable d’intensité et d’émotion. Les gens, debout, hurlent leur enthousiasme. Monk se lève, le visage effrayé, et donne des coups de pied dans le vide à d’imaginaires bestioles. « Chassez ces rats », hurle-t-il, chassez ces maudits rats sinon je m’en vais. On l’assure qu’ils se sont enfuis, et il se rassied...

Et c’est le miracle... Monk, s’assit de nouveau devant le piano, et ne le quitta plus pour jouer, en fin de compte, un des concerts les plus passionnants qu’il m’ait jamais été donné d’entendre. Le public enfin récompensé de sa patience lui fit un véritable triomphe."


version studio : 

https://www.youtube.com/watch?v=oIGO8gL5HmM


dimanche 3 décembre 2023

Zink (humiliation)

Zink, L'Humiliation, le Moyen Âge et nous [présentation p. 10] :

"La civilisation médiévale, féodale et chevaleresque, est […] une civilisation de l’honneur, qui redoute et abomine l’humiliation plus que tout. Mais sa religion, le christianisme, est une religion de l’humilité dont la scène fondatrice, celle de la Passion du Christ et de sa mise en croix, est une scène d’humiliation. La civilisation médiévale est déchirée par cette contradiction. Une religion qui invite à l’humilité et à la pauvreté, mais une société qui exalte l’éclat, la puissance et la dépense. Une religion qui, opposant les fausses valeurs, que le monde honore, aux vraies valeurs, qu’il méprise, se fait donc un honneur de subir les avanies, mais une société qui ne connaît l’honneur et la honte que publics et sanctionnés par elle. […] Bref, une religion qui invite à la dépossession de soi et une société qui invite à l’affirmation de soi."