samedi 3 août 2024

Cela (chance)

Cela, La Ruche, chap. III, trad. Astor p. 110 :


"Ce jour-là, la réunion de la crémerie était gaie. 

— Apportez-nous donc quelques petites brioches, doña Ramona, c'est moi qui paie. 

— Mais, ma fille, vous avez donc gagné à la loterie!

— Il y a loterie et loterie, doña Ramona ! J'ai reçu de Bilbao une lettre de la Paquita. Regardez ce qu'elle dit. 

— Voyons ! Voyons ! 

— Lisez vous-même, moi j'y vois de moins en moins : lisez donc, tenez, là en bas. 

Doña Ramona enfourcha ses besicles et lut : 

— « La femme de mon fiancé est morte d'anémie pernicieuse. » Eh bien, doña Asunción, ça c'est une chance ! 

— Continuez, continuez ! 

— « Et mon fiancé dit qu'on n'a plus besoin de rien et que si je tombe enceinte on se mariera. » Mais, ma fille, vous êtes vernie, vous alors ! 

— Oui, grâce à Dieu, j'ai assez de chance avec cette fille-là. 

— Et le fiancé, c'est le professeur ? 

— Oui, don José Maria de Samas, professeur de psychologie, de logique et de morale. 

— Eh bien, ma chère, toutes mes félicitations ! Vous l'avez bien casée ! 

— Oui, pas mal !"



Aquella tarde estaba alegre la tertulia de la lechería.

—Traiga usted unos bollitos, doña Ramona, que yo pago.

—¡Pero, hija! ¿Le ha caído a usted la lotería?

—jHay muchas loterías, doña Ramona! He tenido carta de la Paquita, desde Bilbao. Mire usted lo que dice aquí.

—¿A ver? ¿A ver?

—Lea usted, yo cada vez tengo menos vista: lea usted aquí abajo.

Doña Ramona se caló los lentes y leyó:

—"La esposa de mi novio ha fallecido de unas anemias perniciosas." ¡Caray, doña Asunción, así ya se puede!

—Siga, siga.

—"Y mi novio dice que ya no usemos nada y que si quedo en estado, pues él se casa." ¡Pero, hija, si es usted la mujer de la suerte!

—Sí, gracias a Dios, tengo bastante suerte con esta hija.

—¿Y el novio es el catedrático?

—Sí, don José María de Samas, catedrático de Psicología, Lógica y Ética.

—¡Pues, hija, mi enhorabuena! ¡Bien la ha colocado!

—¡Si, no va mal!

 


jeudi 1 août 2024

Rousseau (toilette)

Rousseau, Émile, livre V : 

"L’abus de la toilette n’est pas ce qu’on pense, il vient bien plus d’ennui que de vanité. Une femme qui passe six heures à sa toilette, n’ignore point qu’elle n’en sort pas mieux mise que celle qui n’y passe qu’une demi-heure ; mais c’est autant de pris sur l’assommante longueur du temps, et il vaut mieux s’amuser de soi que de s’ennuyer de tout. Sans la toilette, que ferait-on de la vie depuis midi jusqu’à neuf heures ? En rassemblant des femmes autour de soi, on s’amuse à les impatienter, c’est déjà quelque chose ; on évite les tête-à-tête avec un mari qu’on ne voit qu’à cette heure-là, c’est beaucoup plus : et puis viennent les marchandes, les brocanteurs, les petits messieurs, les petits auteurs, les vers, les chansons, les brochures : sans la toilette, on ne réunirait jamais si bien cela."


mercredi 31 juillet 2024

James (P.D.) (intérieur)

James (P. D.), Une Folie meurtrière, trad Brodsky chap. 4 :

"Elles sirotèrent leur sherry en silence. Les deux barres du faux feu de bois luisaient doucement et les braises synthétiques brillaient et clignotaient au rythme de la petite lampe qui tournait derrière. Miss Ambrose parcourut le salon des yeux et le trouva à son goût. Le lampadaire projetait une lumière douce sur la moquette et le confortable ensemble formé par le divan et les fauteuils. Dans un coin se trouvait un appareil de télévision avec ses petites antennes jumelles déguisées en fleurs au bout de leur tige. Le téléphone se nichait sous la jupe en crinoline d’une poupée de plastique. Sur le mur d’en face, au-dessus du piano, était accroché un panier en rotin d’où cascadait une plante d’intérieur, serpentins verts cachant presque la photo de mariage de l’aînée des nièces de Miss Sharpe, qui occupait la place d’honneur sur le piano. Miss Ambrose trouvait la simplicité immuable de ces objets familiers réconfortante. Eux au moins ne changeaient pas."


They sipped their sherry in silence. The two bars of the electric fire glowed and the synthetic coals shone and flickered as the little light behind them revolved. Sister Ambrose looked around at the sitting-room and found it good. The standard lamp threw a soft light on the fitted carpet and the comfortable sofa and chairs. In the corner a television set stood, its small twin aerials disguised as two flowers on their stems. The telephone nestled beneath the crinolined skirt of a plastic doll. On the opposite wall, above the piano, hung a cane basket from which an indoor plant, cascading streamers of green, almost concealed the wedding group of Miss Sharpe’s eldest niece which had pride of place on the piano. Sister Ambrose took comfort from the unchanged homeliness of these familiar things. They at least were the same. 


Pessoa (inachèvement)

Pessoa, Premiers écrits, "Le chaos", in Un singulier regard :

"Je n’ai jamais pris aucune décision née de mon libre arbitre, ni donné de signe extérieur d’une volonté consciente. Aucun de mes écrits n’a jamais été terminé ; je voyais toujours s’interposer de nouvelles pensées, des associations d’idées extraordinaires, impossibles à exclure, avec l’infini pour seule limite. Je suis incapable de surmonter mon aversion à l’idée d’achever quoi que ce soit. Une chose, à elle seule, fait naître dix mille pensées, et de ces dix mille pensées naissent dix mille inter-associations, que je n’ai pas la moindre envie d’éliminer ou d’interrompre, ou de réunir en une pensée centrale unique, où les détails sans importance qui leur sont liés pourraient se perdre. Ces idées me traversent ; elles ne m’appartiennent pas, elles me traversent."


mardi 30 juillet 2024

Cela (suggestion)

Cela, La Ruche, chap. 1, trad. Astor, Gall. L'Imaginaire p. 28-29 :

"Le jeune poète est en train de composer un long poème qui s'appelle 'Destin'. Il s'est demandé longtemps s'il ne devait pas l'intituler 'Le Destin', mais finalement, après avoir consulté plusieurs poètes d'expérience, il a trouvé que non, qu'il valait mieux l'intituler 'Destin', tout court. C'était plus simple, plus évocateur, plus mystérieux. Et puis en l'appelant ainsi 'Destin', ça en suggérait davantage, c'était… comment dire… plus flou, plus poétique. Comme ça on ne savait pas si l'on voulait faire allusion  au 'destin', ou bien à 'un destin', à 'destin incertain', à 'destin fatal', ou à 'destin heureux', "destin bleu' ou 'destin violet'. 'Le Destin', ça engageait davantage, ça laissait moins de champ où l'imagination pût voler en toute liberté, dégagée de toute entrave."


El joven poeta está componiendo un poema largo, que se llama "Destino". Tuvo sus dudas sobre si debía poner "El destino", pero al final, y después de consultar con algunos poetas ya más hechos, pensó que no, que sería mejor titularlo "Destino", simplemente. Era más sencillo, más evocador, más misterioso. Además, así, llamándole "Destino", quedaba más sugeridor, más... ¿cómo diríamos?, más impreciso, más poético. Así no se sabía si se quería aludir a "el destino", o a "un destino", a "destino incierto", a "destino fatal" o "destino feliz" o "destino azul" o "destino violado". "El destino" ataba más, dejaba menos campo para que la imaginación volase en libertad, desligada de toda traba.



lundi 29 juillet 2024

Rousseau (scène de ménage)

Rousseau, Un ménage de la rue Saint-Denis, in Fragments divers, OC Pléiade t. 2 p. 1257 : 

"La femme fais plus de bruit, l'homme fait plus de mal. J'ai vu à Paris une femme qui étoit bien la plus mechante Bégueule de toutte la rue St. Denis et dont le mari passoit pour le Saint du cartier, quand ils avoient quelque querelle ensemble ce qui arrivoit assés frequemment, la femme vomissoit des torrens d'injures contre son mari avec des cris effroiables et ce fracas duroit des deux trois heures et plus, mais admirés s'il vous plait la debonnaireté du badaut qui ne s'émouvoit non plus qu'une roche et écoutoit d'un bout a l'autre toutte cette belle litanie avec une patience angelique ; il est vrai que quand sa chére moitié trouvoit à propos de finir il prenoit froidement un baton, la rouoit cfe coups, la laissoit pour morte sur le carreau et s'en alloit tranquillement boire avec ses amis, accablé d'injures et de lassitude.

Un exemple tiré de la lie du peuple n'en est pas moins concluant, les hommes se manifestent par tout, plus ils sont d'un bas étage, et moins la nature est deguisée."


dimanche 28 juillet 2024

Pessoa (croyance)

Pessoa, in Un singulier Regard § "Maturité"  [1925 ?] :

"Le problème essentiel de la vie, c’est-à-dire celui de la réalité ou de la vérité, ne se pose pas, et ne peut pas se poser, dans les mêmes termes pour l’homme d’une intelligence supérieure et pour l’homme ordinaire. Le premier ne dispose pas, de toute évidence, de meilleurs éléments pour découvrir la vérité que le dernier des imbéciles. Il dispose, en revanche, de meilleurs éléments pour comprendre pourquoi on ne peut la découvrir. Mais si l’incroyance est le lot de tous les esprits supérieurs, chez qui la raison l’emporte sur le sentiment, et devient pour eux un stimulant, elle est absolument désastreuse chez les êtres inférieurs. Dépourvu de foi, de croyance, l’homme ordinaire se trouve réduit à l’état d’un animal ; mais doté d’une foi, d’une croyance, l’homme supérieur se rabaisse. D’où ce terrible paradoxe, dont se voit victime tout homme supérieur, à la fois sur le plan moral et intellectuel : car ne pas éprouver cette incroyance, c’est être inférieur, tout autant que la prêcher aux autres. L’être inférieur est incapable d’incroyance, parce que la croyance est un état organique chez les êtres instinctifs. C’est pourquoi l’incroyance, si elle tombe sur un sol aussi peu propice, conduit soit à un fanatisme à l’envers, soit à un matérialisme sans théorie, soit encore à la plus pure stupidité."