samedi 3 février 2024

Reid + Valéry (voir et dessiner)

Reid, An Inquiry into the Human Mind on the Principles of Common Sense, 1764, The Works of Thomas Reid, ed. William Hamilton (Hildesheim : Georg Olms, 1967) 135b.    

[traduction automatique Google]

"Je ne peux donc pas entretenir l'espoir d'être intelligible pour les lecteurs qui n'ont pas, par la peine et la pratique, acquis l'habitude de distinguer l'apparence des objets à l'œil, du jugement que nous formons par la vue de leur couleur, distance, grandeur et chiffre. Le seul métier dans la vie où il faille faire cette distinction, c'est celui de peindre. Le peintre a occasionné une abstraction, à l'égard des objets visibles, assez semblable à celle que nous demandons ici."


I cannot therefore entertain the hope of being intelligible to those readers who have not, by pains and practice, acquired the habit of distinguishing the appearance of objects to the eye, from the judgment which we form by sight of their colour, distance, magnitude and figure. The only profession in life wherein it is necessary to make this distinction, is that of painting. The painter hath occasion for an abstraction, with regard to visible objects, somewhat similar to that which we here require.


Valéry, Degas, Danse, dessin, § "Voir et tracer" : 

"Il y a une immense différence entre voir une chose sans le crayon dans la main, et la voir en la dessinant.

Ou plutôt, ce sont deux choses bien différentes que l’on voit. Même l’objet le plus familier à nos yeux devient tout autre si l’on s’applique à le dessiner : on s’aperçoit qu’on l’ignorait, qu’on ne l’avait jamais véritablement vu. L’œil jusque-là n’avait servi que d’intermédiaire. Il nous faisait parler, penser ; guidait nos pas, nos mouvements quelconques ; éveillait quelquefois nos sentiments. Même il nous ravissait, mais toujours par des effets, des conséquences ou des résonances de sa vision, qui se substituaient à elle, et donc l’abolissaient dans le fait même d’en jouir.

Mais le dessin d’après un objet, confère à l’œil un certain commandement que notre volonté alimente. Il faut donc ici vouloir pour voir et cette vue voulue a le dessin pour fin et pour moyen à la fois.

Je ne puis préciser ma perception d’une chose sans la dessiner virtuellement, et je ne puis dessiner cette chose sans une attention volontaire qui transforme remarquablement ce que d’abord j’avais cru percevoir et bien connaître. Je m’avise que je ne connaissais pas ce que je connaissais : le nez de ma meilleure amie."


vendredi 2 février 2024

Schleiermacher (piété)

Schleiermacher [sur], extr. de Denis Thouard, Schleiermacher : communauté, individualité, communication :

"[Schleiermacher] nous fait en effet éprouver que l'unité transcendante de l'univers est le sujet véritablement agissant par rapport à l'homme, qui, lui, est essentiellement réceptif, autrement dit, c'est par une "affection" que nous faisons l'expérience de notre dépendance absolue. Certes, dans toute conscience, l' "autre" est donné et, dès qu'un objet nous affecte, nous sommes en quelque sorte "déterminé" par lui ; mais il ne peut être question là que d'une détermination relative et singulière. L'unité du monde donnera lieu à une détermination tout autre, celle d'une cause transcendante et absolue. Nous nous sentirons absolument déterminé, de sorte qu'à présent le sentiment de la dépendance absolue se présente comme l'essence de la religion ou piété. Dans le rapport réciproque du moi et du monde se dévoile à la fols l'infini et l'un, dans le sentiment de dépendance absolue nous avons l'être un, universel, infini, l'être absolu de Dieu."


jeudi 1 février 2024

Slavnikova (comparaisons)

Slavnikova : quelques comparaisons picorées dans ses textes… : 


… un vendeur déluré dont le visage aux fortes pommettes évoquait une petite marmite…

… dont le bas-ventre […] évoquait le recoin d’une cave nimbé de toiles d’araignées…

… un ahuri costumé dont le faciès évoquait un seau…

… la jeune blonde de soixante printemps aux joues aussi roses que deux gros bocaux de confiture…

… la couleur radicale des murs qui transformait le visage du présentateur en œuf sur le plat…

… avait l'allure écrasée d'une tartine de confiture…

… une pocharde dont le visage évoquait un tas de vomi…

… qui s’étaient métamorphosés avec les années en vrais koulaks aux visages jumeaux semblables à des pains d’épice rassis…

… l’ombre du rideau de tulle traçait une grille de mots croisés sur son front…

… De nombreux grains de beauté parsemaient ses côtes blanches très fines, on aurait dit des baies d’hiver ridées sur la neige…


mercredi 31 janvier 2024

Finkielkraut (bonjour)

Finkielkraut, Pêcheur de perles chap. 3 : 

"Un nouveau bonjour a fait son apparition dans l’espace communicationnel : le bonjour égalitaire, indifférencié, pétulant des courriels ; le bonjour électronique et sans façon qui supprime d’un seul coup toutes les nuances et tous les échelonnements de nos anciennes pratiques épistolaires : Madame, Monsieur ; chère Madame, cher Monsieur ; cher ami ; mon cher ami ; mon cher Camus, mon cher Malraux ; cher Denis, chère Angélique. Ce bonjour au goût du jour n’est pas une adresse à l’Autre, c’est une irruption du moi. Ce n’est pas un chevalier, c’est un gougnafier. Il n’accueille pas, il déboule ; il ne s’incline pas, il s’invite ; il n’est pas avenant, il est abrupt ; il n’est pas bien disposé, il est éhonté ; il ne salue pas, il klaxonne ; il ne dit rien de plus aux destinataires que l’arrivée triomphale du destinateur. Ainsi, la muflerie fait main basse sur la courtoisie et retourne contre celle-ci, sans autre forme de procès, son propos inaugural.

D’un bonjour, l’autre. Le jeune bonjour exclamatif des messages informatiques n’est que l’homonyme de son attentif aïeul. Rien ne change mais tout change quand le premier égard se trouve ainsi transmué en étendard de l’individu fonceur dans l’univers virtuel qui concurrence la Terre et commence à lui dicter sa loi.

Est-ce si grave ? Je laisse au lecteur le soin d’en juger. Pour ma part, je me contenterai d’ajouter à cette si profonde réflexion de Levinas – « avant le cogito, il y a bonjour » – que bonjour est un miracle en péril."



mardi 30 janvier 2024

Quignard (dépression)

Quignard, Les Désarçonnés (2012), 4° de couv. : 

"Pour toute renaissance il faut repasser par la naissance. C'est ce que les psychanalystes appellent la détresse originaire. Il faut recommencer la mue souche, l'extrême défaillance musculaire, la désorientation totale, la dépendance infinie, la nudité, le silence, la faim, la mort qui hante, l'effroi natal. C'est exactement ce que les Modernes appellent la dépression nerveuse. Ma thèse est infiniment simple : c'est que la dépression nerveuse et la détresse originaire sont la même chose. C'est la première étape. C'est la seule étape qu'on ne peut pas sauter. C'est l'étape à laquelle il est nécessaire de revenir à chaque difficulté que l'on rencontre. Toute métamorphose suppose un reconditionnement à zéro. La dépression miracule. Ce n'est pas le médecin, le psychanalyste, le prêtre, l'antidépresseur, la drogue, qui guérissent de la dépression, c'est la dépression."


lundi 29 janvier 2024

Márai (exil)

Márai, Le Miracle de San Gennaro, chap. 3 :

"Les étrangers privés de leur patrie ne revivent l’intensité de leur vie antérieure que lorsqu’ils attendent le courrier du matin. En ces instants-là, ils espèrent encore. Ils ne savent pas quoi, mais ils espèrent. Certes, ils sont conscients d’avoir perdu leur patrie – perte toujours définitive, irrémédiable : même si, à la faveur de certains événements historiques, ces émigrés retournent dans leur pays, il s’agit, la plupart du temps, de visites hâtives, improvisées, incapables de leur restituer l’essence de leur terre natale – et pourtant, ils attendent le courrier. Ils attendent, car ils savent que la patrie n’est pas seulement une entité géographique repérable sur une carte, mais aussi, à l’image de l’amour, un ensemble d’événements vécus, une sorte d’entrelacement. Ceux qui ont un jour quitté cet entrelacement, au lieu de retrouver la patrie ou l’être aimé, ne revoient plus qu’un pays, ou une femme dont le corps s’est épaissi avec le temps ou qui a fini par épouser un autre homme. Oui, tout cela, les étrangers le savent bien, et pourtant, ils attendent le courrier."


dimanche 28 janvier 2024

Planche (Clésinger)

Planche (Gustave), sur la Femme piquée par un serpent de Clésinger, in Salon de 1847 : 


[Wikipedia]

voir images : 
https://www.google.com/search?newwindow=1&sca_esv=602202052&rlz=1C5CHFA_enFR917FR920&q=cl%C3%A9singer+serpent&tbm=isch&source=lnms&sa=X&ved=2ahUKEwj5mJjrgoGEAxVmUKQEHWxUAcoQ0pQJegQIDRAB&biw=1119&bih=605&dpr=2.2

"J’ai la certitude que tous les hommes familiarisés avec les monumens les plus purs de l’art antique et de l’art moderne formuleraient au besoin la même opinion, le procédé employé par M. Clesinger est à la statuaire ce que le daguerréotype est à la peinture. Ce procédé, quel est-il ? A cet égard, il me semble que le doute n’est pas permis. L’oeuvre de M. Clesinger n’a pas le caractère d’une figure modelée, mais bien d’une figure moulée. Pour le croire, pour l’affirmer, il suffit d’étudier attentivement tous les morceaux dont se compose cette figure. Partout l’œil aperçoit les traces manifestes d’un art impersonnel. Le modèle offrait de belles parties qui sont demeurées ce qu’elles étaient et qui séduisent ; mais il offrait aussi bien des pauvretés, bien des détails mesquins, que l’art sérieux dédaigne et néglige à bon droit, et que M. Clesinger n’a pas su effacer. L’auteur a respecté les plis du ventre, parce que le plâtre les avait respectés. Il a conservé follement la flexion des doigts du pied gauche, qui ne se comprendrait pas s’il eût modelé au lieu de mouler. Que signifie, en effet, cette flexion ? Rien autre chose que l’habitude de porter une chaussure trop courte. Les mains manquent d’élégance, parce que les phalanges ne sont pas assez longues. La tête, qui, sans doute, n’a pas été moulée, et que l’auteur n’a pas su modeler, est très inférieure, comme réalité, au reste de la figure. Ce que j’ai dit des plis du ventre, je pourrais le dire avec une égale justesse de bien d’autres détails non moins mesquins. Les plis de la peau au-dessus de la hanche gauche sont beaucoup trop multipliés ; la forme des genoux est loin d’être satisfaisante."



sur G. Planche : 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gustave_Planche

où l'on peut lire : 

"On a reproché à Gustave Planche une sévérité excessive. Alphonse Karr l’avait plaisamment surnommé « Gustave le cruel »"


Sur le contexte des relations personnelles, cf. p. ex. 

Mermaz : Un amour de Baudelaire : Madame Sabatier