Finkielkraut, Pêcheur de perles chap. 3 :
"Un nouveau bonjour a fait son apparition dans l’espace communicationnel : le bonjour égalitaire, indifférencié, pétulant des courriels ; le bonjour électronique et sans façon qui supprime d’un seul coup toutes les nuances et tous les échelonnements de nos anciennes pratiques épistolaires : Madame, Monsieur ; chère Madame, cher Monsieur ; cher ami ; mon cher ami ; mon cher Camus, mon cher Malraux ; cher Denis, chère Angélique. Ce bonjour au goût du jour n’est pas une adresse à l’Autre, c’est une irruption du moi. Ce n’est pas un chevalier, c’est un gougnafier. Il n’accueille pas, il déboule ; il ne s’incline pas, il s’invite ; il n’est pas avenant, il est abrupt ; il n’est pas bien disposé, il est éhonté ; il ne salue pas, il klaxonne ; il ne dit rien de plus aux destinataires que l’arrivée triomphale du destinateur. Ainsi, la muflerie fait main basse sur la courtoisie et retourne contre celle-ci, sans autre forme de procès, son propos inaugural.
D’un bonjour, l’autre. Le jeune bonjour exclamatif des messages informatiques n’est que l’homonyme de son attentif aïeul. Rien ne change mais tout change quand le premier égard se trouve ainsi transmué en étendard de l’individu fonceur dans l’univers virtuel qui concurrence la Terre et commence à lui dicter sa loi.
Est-ce si grave ? Je laisse au lecteur le soin d’en juger. Pour ma part, je me contenterai d’ajouter à cette si profonde réflexion de Levinas – « avant le cogito, il y a bonjour » – que bonjour est un miracle en péril."