Márai, Le Miracle de San Gennaro, chap. 3 :
"Les étrangers privés de leur patrie ne revivent l’intensité de leur vie antérieure que lorsqu’ils attendent le courrier du matin. En ces instants-là, ils espèrent encore. Ils ne savent pas quoi, mais ils espèrent. Certes, ils sont conscients d’avoir perdu leur patrie – perte toujours définitive, irrémédiable : même si, à la faveur de certains événements historiques, ces émigrés retournent dans leur pays, il s’agit, la plupart du temps, de visites hâtives, improvisées, incapables de leur restituer l’essence de leur terre natale – et pourtant, ils attendent le courrier. Ils attendent, car ils savent que la patrie n’est pas seulement une entité géographique repérable sur une carte, mais aussi, à l’image de l’amour, un ensemble d’événements vécus, une sorte d’entrelacement. Ceux qui ont un jour quitté cet entrelacement, au lieu de retrouver la patrie ou l’être aimé, ne revoient plus qu’un pays, ou une femme dont le corps s’est épaissi avec le temps ou qui a fini par épouser un autre homme. Oui, tout cela, les étrangers le savent bien, et pourtant, ils attendent le courrier."