Je viens de mettre en ligne sur mon site un texte ancien : Le psychiatre, le politique et les normes
https://sites.google.com/site/lesitedemichelphilippon/psychiatrie-politique-normes
Un texte par jour, ou presque, proposé par Michel PHILIPPON (littérature, philosophie, arts, etc.).
Je viens de mettre en ligne sur mon site un texte ancien : Le psychiatre, le politique et les normes
https://sites.google.com/site/lesitedemichelphilippon/psychiatrie-politique-normes
Valéry, Mélange, Humanités V :
"Deux hommes se disputaient. Les épithètes s’échangeaient si vivement et promptement que l’on ne savait plus qui donnait, qui recevait.
L’intervalle des ripostes devenait si bref qu’il approchait de la plus petite durée possible, qui est celle des réponses d’un esprit se répondant à soi-même, tellement que ces deux adversaires constituaient une véritable intimité. - Chacun eût pu prendre la bouche de l’autre pour sienne."
Borges, Les théologiens (fin) in L'Aleph, Pléiade t. 1 p. 589 :
"[...] Aurélien s'entretint avec Dieu et [...] celui-ci porte si peu d'intérêt aux différends en matière de religion qu'il le prit pour Jean de Pannonie. Mais cela ferait croire à de la confusion dans l'esprit divin. Il est plus correct de dire qu'au paradis Aurélien apprit que pour l'insondable divinité lui et Jean de Pannonie (l'orthodoxe et l'hérétique, celui qui haïssait et celui qui était haï, l'accusateur et la victime) n'étaient qu'une même personne."
Aureliano conversó con Dios y [...] Éste se interesa tan poco en diferencias religiosas que lo tomó por Juan de Panonia. Ello, sin embargo, insinuaría una confusión de la mente divina. Más correcto es decir que en el paraíso, Aureliano supo que para la insondable divinidad, él y Juan de Panonia (el ortodoxo y el hereje, el aborrecedor y el aborrecido, el acusador y la víctima) formaban una sola persona.
Eco, Le Nom de la rose, Septième jour :
"Non sans frémir, je m'aperçus qu'en ce moment ces deux hommes, s'affrontant en un combat mortel, s'admiraient à tour de rôle, comme si chacun d'eux n'avait agi que pour obtenir les félicitations de l'autre. Mon esprit fut traversé par la pensée que les arts déployés par Bérenger pour séduire Adelme, et les gestes simples et naturels par lesquels la jeune fille avait suscité ma passion et mon désir, n'étaient rien, quant à la ruse et à l'habileté forcenée dans la conquête de l'autre, en face de cette séduction réciproque qui avait lieu sous mes yeux à l'instant, et qui s'était déroulée sept jours durant, chacun des deux interlocuteurs donnant, pour ainsi dire, de mystérieux rendez-vous à l'autre, chacun aspirant secrètement à l'approbation de l'autre, qu'il redoutait et haïssait."
Mi resi conto, con un brivido, che in quel momento quei due uomini, schierati per una lotta mortale, si ammiravano a vicenda, come se ciascuno avesse agito solo per ottenere il plauso dell’altro. La mia mente fu attraversata dal pensiero che le arti dispiegate da Berengario per sedurre Adelmo, e i gesti semplici e naturali con cui la fanciulla aveva suscitato la mia passione e il mio desiderio, erano nulla, quanto ad astuzia, e forsennata abilità nel conquistare l’altro, di fronte alla vicenda di seduzione che si svolgeva sotto i miei occhi in quel momento, e che si era dipanata lungo sette giorni, ciascuno dei due interlocutori dando, per così dire, misteriosi convegni all’altro, ciascuno segretamente aspirando all’approvazione dell’altro, che temeva e odiava.
Queneau, Zazie en el metro, traduction Domingo Pruna :
« ¿ Por qué apestan tanto ? - se preguntó Gabriel, abrumado -. Es increíble, no se limpian jamás. En el periódico dicen que ni el once por ciento de las viviendas de París tienen cuarto de baño, cosa que no me sorprende, pero uno se puede lavar sin ellos. Todos esos que me rodean no deben de hacer grandes esfuerzos. Por otra parte, tampoco es una selección entre lo más cochambroso de París. No hay razón. El azar los ha reunido. No puede suponerse que la gente que aguarda en la estación de Austerlitz huela peor que la que espera en la estación de Lyon. No, de verdad, no hay razón. Pero ¡ qué olor, de todos modos ! »
Gabriel se sacó de la manga un pañuelo de seda color malva y se taponó las napias.
- ¿ Qué es lo que apesta así ? - dijo una mujer en voz alta.
No pensaba en ella al decirlo ; no era egoísta ; lo que quería era hablar del perfume que emanaba del caballerete.
- Esto, buena mujer - contestó Gabriel, que era rápido en la réplica -, es Barbouze, un perfume de chez Fior.
Doukipudonktan, se demanda Gabriel excédé. Pas possible, ils se nettoient jamais. Dans le journal, on dit qu'il y a pas onze pour cent des appartements à Paris qui ont des salles de bains, ça m'étonne pas, mais on peut se laver sans. Tous ceux-là qui m'entourent, ils doivent pas faire de grands efforts. D'un autre côté, c'est tout de même pas un choix parmi les plus crasseux de Paris. Y a pas de raison. C'est le hasard qui les a réunis. On peut pas supposer que les gens qu'attendent à la gare d'Austerlitz sentent plus mauvais que ceux qu'attendent à la gare de Lyon. Non vraiment, y a pas de raison. Tout de même quelle odeur.
Gabriel extirpa de sa manche une pochette de soie couleur mauve et s'en tamponna le tarin.
– Qu'est-ce qui pue comme ça? dit une bonne femme à haute voix.
Elle pensait pas à elle en disant ça, elle était pas égoïste, elle voulait parler du parfum qui émanait de ce meussieu.
– Ça, ptite mère, répondit Gabriel qui avait de la vitesse dans la repartie, c'est Barbouze, un parfum de chez Fior.
Flaubert, Madame Bovary, traduction Eleanor Marx-Aveling* (1886) :
"We were in class when the head-master came in, followed by a "new fellow," not wearing the school uniform, and a school servant carrying a large desk. Those who had been asleep woke up, and every one rose as if just surprised at his work.
The head-master made a sign to us to sit down. Then, turning to the class-master, he said to him in a low voice
- "Monsieur Roger, here is a pupil whom I recommend to your care ; he'll be in the second. If his work and conduct are satisfactory, he will go into one of the upper classes, as becomes his age."
The "new fellow," standing in the corner behind the door so that he could hardly be seen, was a country lad of about fifteen, and taller than any of us. His hair was cut square on his forehead like a village chorister's; he looked reliable, but very ill at ease. Although he was not broad-shouldered, his short school jacket of green cloth with black buttons must have been tight about the arm-holes, and showed at the opening of the cuffs red wrists accustomed to being bare. His legs, in blue stockings, looked out from beneath yellow trousers, drawn tight by braces, He wore stout, ill-cleaned, hob-nailed boots."
* (fille de Karl Marx)
Nous étions à l'Etude, quand le Proviseur entra suivi d'un nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail.
Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d'études :
- Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands , où l'appelle son âge.
Resté dans l'angle, derrière la porte, si bien qu'on l'apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d'une quinzaine d'années environ, et plus haut de taille qu'aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de village, l'air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu'il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d'un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous.
Céline, Journey to the End of the Night, traduction R. Manheim :
« Here's how it started. I'd never said a word. Not one word. It was Arthur Ganate that made me speak up. Arthur was a friend from med school. So we meet on the Place Clichy. It was after breakfast. He wants to talk to me. I listen. "Not out here," he says. "Let's go in." We go in. And there we were. "This terrace," he says, "is for jerks. Come on over there." Then we see that there's not a soul in the street, because of the heat ; no cars, nothing. Same when it's very cold, not a soul in the street; I remember now, it was him who had said one time : "The people in Paris always look busy, when all they actually do is roam around from morning to night ; it's obvious, because when the weather isn't right for walking around, when it's too cold or too hot, you don't see them anymore; they're all indoors, drinking their cafés crèmes or their beers. And that's the truth. The century of speed! they call it. »
Céline, Viaje al fin de la noche, traduction ? :
« La cosa empezó así. Yo nunca había dicho nada. Nada. Fue Arthur Gánate quien me hizo hablar. Arthur, un compañero, estudiante de medicina como yo. Resulta que nos encontramos en la Place Clichy. Después de comer. Quería hablarme. Lo escuché. « ¡ No nos quedemos fuera ! – me dijo -. ¡ Vamos adentro ! » Y fui y entré con él. « ¡ Esta terraza está como para freír huevos ! ¡ Ven por aquí ! », comenzó. Entonces advertimos también que no había nadie en las calles, por el calor; ni un coche, nada. Cuando hace mucho frío, tampoco; no ves a nadie en las calles; pero, si fue él mismo, ahora que recuerdo, quien me dijo, hablando de eso: « La gente de París parece estar siempre ocupada, pero, en realidad, se pasean de la mañana a la noche ; la prueba es que, cuando no hace bueno para pasear, demasiado frío o demasiado calor, desaparecen. Están todos dentro, tomando cafés con leche o cañas de cerveza. ¡Ya ves! ¡ El siglo de la velocidad !, dicen. »
Ça a débuté comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. C’est Arthur Ganate qui m’a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin lui aussi, un camarade. On se rencontre donc place Clichy. C’était après le déjeuner. Il veut me parler. Je l’écoute. «Restons pas dehors! qu’il me dit. Rentrons ! » Je rentre avec lui. Voilà. « Cette terrasse, qu’il commence, c’est pour les œufs à la coque ! Viens par ici ! » Alors, on remarque encore qu’il n’y avait personne dans les rues, à cause de la chaleur ; pas de voitures, rien. Quand il fait très froid, non plus, il n’y a personne dans les rues ; c’est lui, même que je m’en souviens, qui m’avait dit à ce propos : « Les gens de Paris ont l’air toujours d’être occupés, mais en fait, ils se promènent du matin au soir ; la preuve, c’est que, lorsqu’il ne fait pas bon à se promener, trop froid ou trop chaud, on ne les voit plus ; ils sont tous dedans à prendre des cafés crème et des bocks. C’est ainsi ! Siècle de vitesse ! qu’ils disent.
Proust, Swann's Way (traduction Lydia Davis) :
« For a long time, I went to bed early. Sometimes, my candle scarcely out, my eyes would close so quickly that I did not have time to say to myself : “I’m falling asleep.” And, half an hour later, the thought that it was time to try to sleep would wake me ; I wanted to put down the book I thought I still had in my hands and blow out my light ; I had not ceased while sleeping to form reflections on what I had just read, but these reflections had taken a rather peculiar turn ; it seemed to me that I myself was what the book was talking about : a church, a quartet, the rivalry between François I and Charles V. This belief lived on for a few seconds after my waking ; it did not shock my reason but lay heavy like scales on my eyes and kept them from realizing that the candlestick was no longer lit. »
Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors. » Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait ; je voulais poser le volume que je croyais avoir encore dans les mains et souffler ma lumière ; je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage : une église, un quatuor, la rivalité de François Ier et de Charles-Quint. Cette croyance survivait pendant quelques secondes à mon réveil ; elle ne choquait pas ma raison, mais pesait comme des écailles sur mes yeux et les empêchait de se rendre compte que le bougeoir n’était pas allumé.
Valéry, Louanges de l'eau*, 1935, Pléiade t. 1 p. 202 :
"Plus d’un chanta le vin.
Innombrables sont les poètes qui ont, jusqu’au lyrisme, élevé leur ivresse et tendu vers les dieux la coupe de vin fort que leur âme attendait.
Le vin très précieux mérite ces louanges. Mais quelle ingratitude et quelle grande erreur chez ceux qui blasphémèrent l'eau !…
Divine lucidité, Roche transparente, merveilleux Agent de vie, eau universelle, je t’offrirais volontiers l’hommage de litanies infinies.
Je dirai l'eau tranquille, luxe suprême des sites, où elle tend des nappes de calme absolu, sur le plan pur desquelles toutes choses mirées paraissent plus parfaites qu’elles-mêmes. Là, toute la nature se fait Narcisse, et s’aime…
L'eau mouvante, qui par douceur et violence, par suintements et par usure prodigieusement lente, par son poids comme par courants et tourbillons effrénés, par brumes et par pluies, par ruisseaux, par cascades et cataractes, façonne le roc, polit le granit, use le marbre, arrondit le galet indéfiniment, berce et dispose en molles traînes et en douces plages tout le sable qu’elle crée. Elle travaille et diversifie, sculpte et décore la figure morne et brutale du sol dur.
L'eau multiforme habite les nuées et comble les abîmes ; elle se pose en neige sur les cimes au soleil, d’où pure elle s’écoule ; et suivant des chemins qu’elle sait, aveugle et sûre de son étrange certitude, descend invinciblement vers la mer, sa plus grande quantité."
[* texte publicitaire pour l'eau Perrier]
Daumal, La grande Beuverie, 1, 2 :
"[...] La grande voix de derrière les fagots, comme nous l’appelions dans notre langage de soiffards, s’était un peu élevée. Elle sortait effectivement de derrière un tas de fagots, ou de caisses à biscuits, c’était difficile à savoir à cause de la fumée et de la fatigue ; et elle disait :
- Quand il est seul, le microbe (j’allais dire : l’homme) réclame une âme sœur, comme il pleurniche, pour lui tenir compagnie. Si l’âme sœur arrive, ils ne peuvent plus supporter d’être deux, et chacun commence à se frénétiser pour devenir un avec l’objet de ses tiraillements intestins. N’a pas de bon sens : un, veut être deux ; deux, veut être un. Si l’âme sœur n’arrive pas, il se scinde en deux, il se dit : bonjour mon vieux, il se jette dans ses bras, il se recolle de travers et il se prend pour quelque chose, sinon pour quelqu’un. Vous n’avez pourtant qu’une chose en commun, c’est la solitude ; c’est-à-dire tout ou rien, cela dépend de vous."