Daumal, La grande Beuverie, 1, 2 :
"[...] La grande voix de derrière les fagots, comme nous l’appelions dans notre langage de soiffards, s’était un peu élevée. Elle sortait effectivement de derrière un tas de fagots, ou de caisses à biscuits, c’était difficile à savoir à cause de la fumée et de la fatigue ; et elle disait :
- Quand il est seul, le microbe (j’allais dire : l’homme) réclame une âme sœur, comme il pleurniche, pour lui tenir compagnie. Si l’âme sœur arrive, ils ne peuvent plus supporter d’être deux, et chacun commence à se frénétiser pour devenir un avec l’objet de ses tiraillements intestins. N’a pas de bon sens : un, veut être deux ; deux, veut être un. Si l’âme sœur n’arrive pas, il se scinde en deux, il se dit : bonjour mon vieux, il se jette dans ses bras, il se recolle de travers et il se prend pour quelque chose, sinon pour quelqu’un. Vous n’avez pourtant qu’une chose en commun, c’est la solitude ; c’est-à-dire tout ou rien, cela dépend de vous."