samedi 11 septembre 2021

Welsh (fast food)

Welsh (Irvine), Le Coup du siècle, trad. Diniz Galhos chap 20 : 

[pour une fois, le nom du traducteur est mentionné sur la couverture du livre ; mais la langue est si... spéciale qu'il faut au moins donner un coup d'œil à la VO]


Tout lmonde dit qu’les McDo c’est tous les mêmes, mais moi jtrouve qu’celui dGorgie c’est lmeilleur de tous. Aye. Ceux du centre-ville ils sont pas aussi bien : les gens sont trop snobs, trépondent jamais quand tu leur parles, pas comme à Gorgie. Et donc jdescends la rue pour aller mprendre mes Chicken McNuggets. Barry. Et tout dsuite ça arrête les frissons ! Ça pour les arrêter ! C’est sûr, i mreste même encore dla place pour un McFlurry After Eight mais ils en ont plus, juste les McFlurrys normaux. — Comment ça sfait qu’ya plus d’McFlurry After Eight ? que jfais à la fille, celle qui a des boutons.

— C’était juste une opération promo, qu’elle fait la fille, - à durée limitée.

 — J’aimais drôlment ça, moi. Le McFlurry After Eight.

— Ouais mais c’était juste une promo. C’est fini maintnant.

— Aye… aye… aye, le McFlurry After Eight chocolat menthe.

— Fini maintnant.

— McFlurry After Eight chocolat menthe. Aye, que jlui dis, — ça c’est sûr pour aimer ça, j’aimais drôlment ça, hein !

— Ouais mais c’est fini maintnant. C’était une promo à durée limitée. Ils voulaient juste en proposer sur une durée limitée pour voir si yavait dla dmande. Durée limitée.

— Et ils vont le rproposer ?

— Sûrment. Si les gens ldemandent.

— Comment on fait pour dmander ?

— Jsais pas… Grace ! qu’elle crie à une autre fille. Une fille avec de belles dents toutes blanches, des grandes dents. Ça c’est sûr, des super grandes dents super blanches. — Lmonsieur voudrait savoir quand ça rviendra, les McFlurrys After Eight. Jui ai dit que c’était à durée limitée mais qu’si yavait dla dmande ils lremettraient en vente.

— C’est exact, fait l’autre fille, la manageuse. L’autre part s’occuper d’un gars super gros qui veut un double cheeseburger et un coca. Mais sans frites, quoi. J’aurais cru qu’il aurait pris des frites, vu qu’il est super gros. Mais faut pas l’embêter avec ça. Jinty, elle, par contre, elle lui aurait dit : « Tu prends pas des frites ? T’as plutôt l’air dquelqu’un qui oublie jamais dprendre des frites ! » Ça, elle l’aurait fait. Mais c’est comme ça qu’on sfait des problèmes, en ouvrant trop la bouche et en disant des choses méchantes aux gens. Jregarde la manageuse. — Ya un bout dpapier qui faut que jsigne ?

— Quoi ?

— Ben pour qu’ils sachent qu’j’ai bien aimé ? Jveux dire, comment ils sauront sinon ?

— Ils sauront, ils sauront.

— Mais quoi, comment ils pourraient lsavoir ?

— Veuillez m’excuser, msieur, mais jn’ai pas ltemps dparler dtout ça, qu’elle fait. — Client suivant, s’il vous plaît !


People say aw McDonald’s ur the same but ah reckon thit the yin in Gorgie is the best oot aw the McDonald’s. Aye. The yins in the toon urnae as good: people too stuck-up, they dinnae talk tae ye, no like in Gorgie. So ah walks doon tae the street tae git ma Chicken McNuggets. Barry. N it fair stoaped the shiverin! That it did! Aye, thaire wis still room eftir fir an Eftir Eight McFlurry but they didnae huv any, jist the ordinary McFlurries. — How is it thit thaire’s nae Eftir Eight McFlurries? ah goes tae the lassie, her wi the spoats.

— It wis jist a promo thing, the lassie goes, — a limited time only.

— Ah fair liked that. The Eftir Eight Mint McFlurry.

— Naw bit it wis jist a promotion. It’s aw stoaped now.

— Aye . . . aye . . . aye, the Eftir Eight Mint McFlurry.

— Stoaped now.

— Eftir Eight Mint McFlurry. Aye, ah fair enjoyed that awright, ah tells hur, — did ah no, but ! 

— It’s stoaped now but. Limited time only. They jist wanted tae pit thum oan for a limited time tae see if thaire wis demand. Limited time.

— Will they pit thum back oan again?

— Ah suppose. If thaire wis demand fae folk.

— How dae ye demand?

— Dunno... Grace ! She shouts another lassie ower. A lassie wi nice big white teeth. Aye sur, awfay white teeth. — Jetulmin here wants tae ken whin the Eftir Eight Mint McFlurry’s gonny be back. Telt um it wis limited time but if folk demanded it they might bring it back.

— That’s right, the new lassie, a supervisor lassie, goes. The other lassie goes n sees tae an awfay fat boy whae wants a double cheeseburger n Coke. Nae chips fir the boy, but. Ah thoat eh’d want chips, ken wi him bein awfay fat. But ye cannae say nowt tae the boy. The likes ay Jinty, she wid say: ‘You no huvin chips? Ah thoat the likes ay you wid be wantin chips!’ Aye she wid. But that’s how ye git in trouble, openin yir mooth n sayin bad things tae folk. Ah looks at the supervisor lassie. — Is thaire a wee bit ay paper ah huv tae sign ?

— What ?

— Soas they kin tell ah liked it? Ah mean, how ur they gaunny ken ?

— They jist do.

— But like, how kin they ?

— Ah’m sorry, sir, but ah’ve no goat time tae talk aboot it, she goes. — Next please !


jeudi 9 septembre 2021

Martin du Gard (gloutonnerie 2)

 
Martin du Gard (Roger), Vieille France chap. XIX :
"Tout maigre qu'il est, Arnaldon est le premier mangeur du canton, peut-être du département. Jamais deux heures à jeun. Dix fois par jour, il ouvre la porte et crie dans l'escalier : — « Marie-Jeanne, j'ai besoin de prendre ! » Marie-Jeanne a l'habitude ; elle arrive avec deux oeufs pochés dans un bol de bouillon, ou bien une assiette de viande froide, ou simplement du fromage de chèvre, fermenté à point dans la cendre. Mais ce n'est là qu'une collation. Il faut voir le Maire, au début de chaque repas, tandis que sa fille met le couvert, bâfrant, debout, afin d'apaiser ce qu'il appelle la première faim, une platée de rillettes bien grasses qu'il étale sur des tranches de pain frais, puisant à même la terrine avec une pelle de bois. Le miracle est qu'il ne s'en porte pas plus mal. Même pas congestionné pendant qu'il digère. Il sort de table quand les plats sont vides, boit un plein bol de café, deux verres de cognac, allume sa pipe, s'en va aux latrines, et retourne à ses affaires, aussi dispos que s'il avait gobé un oeuf."


mercredi 8 septembre 2021

Martin du Gard (gloutonnerie)

Martin du Gard (Roger), Confidence africaine éd. Dilettante p. 20-21 : 

"[Elle] n’était pas belle ; je dirai même que ses paupières plissées de tortue, son masque envahi de graisse, son teint huileux, son torse piriforme, avachi par les grossesses et les allaitements, conspiraient à faire d’elle un souverain remède contre la concupiscence. Je m’expliquai mieux sa complexion après l’avoir vue se gaver d’une sorte de compote visqueuse, dont elle raffolait, faite de figues imbibées de crème fraîche et de miel. En sus des plâtrées de macaroni qu’elle bâfrait aux repas, elle mâchait du matin au soir des loukoums gluants, et ne parlait guère que la bouche pleine. Son tiroir-caisse était garni de dattes fourrées à la pistache ou de pâtes de fruits ; et sa monnaie était toujours poisseuse. Je dois ajouter, pour être juste, que sa gourmandise avait un caractère impérieux, passionnel, qui l'empêchait presque d'être répugnante : cette voracité semblait être la revanche, le refuge, de toutes les ardeurs d'une femme ; et cela n'était pas très loin du pathétique."


Maugham (H. James)

Maugham, L'Art de la nouvelle (trad. F. Berthet), in L'Humeur passagère, Belles-Lettres 2011 :

"Prenons, par exemple, les nouvelles de Henry James. Il en écrivit beaucoup, et elles font l’admiration des lecteurs cultivés dont l’opinion mérite le respect. J’imagine qu’il est impossible à quiconque connut personnellement Henry James de le lire sans émotion. Il faisait passer le ton de sa voix dans chaque ligne qu’il écrivait, et l’on accepte les volutes de son style, sa prolixité et ses maniérismes parce qu’ils sont l’essence même du charme, de la gentillesse et de l’amusante emphase de l’homme dont on se souvient. Malgré tout, je persiste à trouver ses nouvelles extrêmement peu satisfaisantes. Je n’y crois pas. Et je n’arrive pas à croire qu’on puisse d’un côté imaginer l’agonie d’un enfant atteint de diphtérie, et de l’autre inventer une mère qui préférerait le laisser mourir plutôt que de lui permettre d’atteindre l’âge où il pourrait lire les livres de son père. C’est pourtant ce qui se passe dans une nouvelle intitulée L’Auteur de Beltraffio. Je ne pense pas que Henry James ait jamais su comment se comportaient les gens de tous les jours. Ses personnages sont dépourvus de tripes et d’organes sexuels."


Take, for instance, the stories of Henry James. He wrote many, and they are greatly admired by cultivated readers whose opinion one is bound to respect. It is impossible, I imagine, for anyone who knew Henry James in the flesh to read his stories dispassionately. He got the sound of his voice into every line he wrote, and you accept the convoluted style of so much of his work, his long-windedness and his mannerisms, because they are part and parcel of the charm, benignity and amusing pomposity of the man you remember. But, for all that, I find his stories highly unsatisfactory. I do not believe them. I do not believe that anyone who could visualise a child’s agony when suffering from diphtheria could conceive that the child’s mother would let him die sooner than allow him to grow up and read his father’s books. This is what happens in a story called The Author of Beltraffio. I don’t think Henry James ever knew how ordinary people behave. His characters have neither bowels nor sexual organs.


lundi 6 septembre 2021

Biran (idéaux)

Biran, Journal vol.1 p. 126 (7 mai 1816) : 

"Cette éducation [du XVIII° siècle] n'était pas du tout monarchique. Le sentiment dominant, dans le siècle dernier, était l'admiration pour ces anciennes républiques qui, privées de tous éléments de la force de nos états modernes, avaient déployé une si grande puissance et exécuté de si grandes choses. Ces tableaux, dont l'imagination de la jeunesse était nourrie dès les premières années d'études, donnaient un ton faux et exagéré aux esprits, les dégoûtaient de leur patrie et du monde réel et actuel, de même que la lecture des romans fausse l'imagination des jeunes personnes du sexe en leur créant une nature humaine idéale qui désenchante les relations communes de famille, de société."



Amiel (surdité)

Amiel, Journal, 8 août 1865 (p. 1066) : 

« Cette immense ouate de vapeur assourdit tous les bruits, et plonge dans un silence qui paraît le silence de la surdité. Me voilà donc dans l'état d'âme d'un sourd, qui voit clair et médite. Quelle solitude, et comme elle est favorable au travail ! On est tout entier à sa pensée, à son sujet. Le cœur en gémit, le cerveau s'en félicite. C'est à l'imagination à compenser le monde absent, à évoquer la nature si la pensée en a besoin. Il faut créer, quand on est dans le vide, que des vitres mornes, du papier blanc, et une plume sont tout le spectacle offert aux regards, et que l'oreille n'entend et n'entendra jamais plus rien. La création intérieure, la pensée ou la poésie, est alors une défensive indispensable contre la mort intellectuelle."


dimanche 5 septembre 2021

Staël [G. de] (ruines)

Staël, Germaine de, De L'Allemagne, 3, IX :

"Une réflexion nouvelle m'a frappée dans les écrits qui m'ont été communiqués par un homme dont l'imagination est pensive et profonde ; il compare ensemble les ruines de la nature, celles de l'art et celles de l'humanité. "Les premières dit-il, sont philosophiques, les secondes poétiques, et les dernières mystérieuses". Une chose bien digne de remarque en effet, c'est l'action si différente des années sur la nature, sur les ouvrages du génie et sur les créatures vivantes. Le temps n'outrage que l'homme ; quand les rochers s'écroulent, quand les montagnes s'abîment dans les vallées, la terre change seulement de face, un aspect nouveau excite dans notre esprit de nouvelles pensées, et la force vivifiante subit une métamorphose, mais non un dépérissement ; les ruines des beaux-arts parlent à l'imagination, elle reconstruit ce que le temps a fait disparaître, et jamais peut-être un chef-d'œuvre dans tout son éclat n'a pu donner l'idée de la grandeur autant que les ruines mêmes de ce chef-d'œuvre. On se représente les monuments à demi détruits, revêtus de toutes les beautés qu'on suppose toujours à ce qu'on regrette : mais qu'il est loin d'en être ainsi des ravages de la vieillesse !"