samedi 1 octobre 2022

Robespierre (vertu)

Robespierre, discours du 18 pluviôse an II- 5 février 1794 

cité par ARBR (Amis de Robespierre pour le Bicentenaire de la Révolution) https://www.amis-robespierre.org/Robespierre-discours-du-18 : 


"Puisque l’âme de la République est la vertu, l’égalité, et que votre but est de fonder, de consolider la République, il s’ensuit que la première règle de votre conduite politique doit être de rapporter toutes vos opérations au maintien de l’égalité et au développement de la vertu ; car le premier soin du législateur doit être de fortifier le principe du gouvernement. Ainsi tout ce qui tend à exciter l’amour de la patrie, à purifier les moeurs, à élever les âmes, à diriger les passions du coeur humain vers l’intérêt public, doit être adopté ou établi par vous. 

Tout ce qui tend à les concentrer dans l’abjection du moi personnel, à réveiller l’engouement pour les petites choses et le mépris des grandes, doit être rejeté ou réprimé par vous. Dans le système de la Révolution française, ce qui est immoral est impolitique, ce qui est corrupteur est contre-révolutionnaire."



vendredi 30 septembre 2022

Rousseau (idylle)

Rousseau, La nouvelle Héloïse, V, lettre 7 : 

"On oublie son siècle et ses contemporains, on se transporte au temps des patriarches ; on veut mettre soi-même la main à l'oeuvre, partager les travaux rustiques et le bonheur qu'on y voit attaché.

On rit, on chante toute la journée, et le travail n'en va que mieux. Tout vit dans la plus grande familiarité, tout le monde est égal, et personne ne s'oublie. Les dames sont sans airs, les paysannes sont décentes, les hommes badins et non grossiers. C'est à qui trouvera les meilleures chansons, à qui fera les meilleurs contes, à qui dira les meilleurs traits. L'union même engendre les folâtres querelles et l'on ne s'agace mutuellement que pour montrer combien on est sûr les uns des autres. On ne revient point ensuite faire chez soi les messieurs ; on passe aux vignes toute la journée. On dîne avec les paysans et à leur heure, aussi bien qu'on travaille avec eux. On mange avec appétit leur soupe un peu grossière mais bonne, saine, chargée d'excellents légumes.

Le soir, on revient gaiement tous ensemble. On nourrit et loge les ouvriers tout le temps de la vendange, et même le dimanche, après le prêche du soir, on se rassemble avec eux et l'on danse jusqu'au souper. Les autres soirs, on ne se sépare point non plus en rentrant au logis, hors le baron qui ne soupe jamais et se couche de fort bonne heure et Julie qui monte avec ses enfants chez lui jusqu'à ce qu'il aille se coucher.

Le souper est servi sur deux longues tables. Le luxe et l'appareil des festins n'y sont pas mais l'abondance et la joie y sont. Tout le monde se met à table, maîtres, journaliers, domestiques, chacun se lève indifféremment pour servir, sans exclusion, sans préférence, et le service se fait toujours avec grâce et avec plaisir. On boit à discrétion ; la liberté n'a point d'autre borne que l'honnêteté."



jeudi 29 septembre 2022

Berl (souvenir)

Berl, Sylvia I : 

"L'univers de chacun est infiniment plus restreint qu'il ne se le figure. La plupart des sensations ne sont que des images, la plupart des images qu'un douteux agencement de mots ; chaque peintre révèle d'abord l'étonnante pauvreté de son univers ; Memling, Vermeer ne peignent, n'ont vu, sans doute, qu'une seule femme. Cézanne a vu des pommes, des oignons, la montagne Sainte-Victoire. Monet une cathédrale, une falaise, une gare, un étang de nymphéas. Du moins ont-ils vu quelque chose. N'ai-je rien vu, jamais ? Ne suis-je qu'une collection de faussetés ? On m'a dit que, si on retirait de mon corps toute l'eau qu'il contient, il ne resterait qu'une masse infime d'une matière serrée, pas même une tête de momie de l'Amazone, un Netzké japonais comme celui qui est sur ma table, plus petit que le fourneau de ma pipe. Ce serait encore pis, sans doute, si l'on retirait de mon passé toute la fausseté qu'il contient.

Quand même ! Il faut bien qu'il reste quelque chose. Si je n'étais que mensonge, comment saurais-je que je mens ?"



mercredi 28 septembre 2022

Berl (prière)

Berl, Sylvia, 1 : 

"J'avais pris mon parti de ma propre multiplicité, je la préférais à l'unité fallacieuse que les compromis du langage et du comportement rendent facile aux mythomanes. Mais j'ai fini par me rappeler que la prière peut rassembler vraiment ce que la vie morcelle. L'unité que l'imposture affecte, la prière, l'art peut-être l'effectuent. Malheureusement, si je crois volontiers aux prières des autres, je crois peu aux miennes. [...]

Ma prière la moins futile, il me semble, consiste en un certain tri que j'opère grâce à elle dans la masse des rêvasseries, envies, résolutions que je lui soumets. Elle les rend au mensonge d'où elles émanaient. Elle me fait comprendre que je ne pensais pas ce que je me figurais penser, ne désirais pas ce que je me figurais désirer. À cet égard, elle me rend service. Mais à tout ce qu'elle élimine, elle ne substitue rien. Elle m'ôte ce que je croyais avoir et elle ne le remplace pas."



mardi 27 septembre 2022

Gellhorn (rire)

Gellhorn (Martha), Mes saisons en enfer, chap. "Les tigres de Monsieur Ma", trad. Fauquemberg : 

"Nous nous assîmes [...] hurlant de rire aux plaisanteries du pilote, tout à la joie d’être de retour parmi nos semblables. Je suis convaincue que la barrière entre les races – blanche, noire, brune, jaune – ne naît pas simplement des préjugés de couleur et de la dissemblance des coutumes et des valeurs. Elle est due en grande partie à l’ennui, véritable assassin des relations humaines. Nous ne rions pas des mêmes blagues. Nous nous ennuyons à mourir les uns avec les autres. Chaque fois que je voyais les Chinois rire ensemble, je m’écriais : « Traduisez s’il vous plaît, vite, vite », pour saisir la blague. En entendant la traduction, je me cachais derrière un sourire perplexe. Bon sang, de quoi ces crétins riaient-ils ? "


We sat on the bales, yelling with laughter at the pilot’s jokes. The joy to be back among our own kind. I am certain that the barrier between the races – white, black, brown, yellow – is not only due to colour prejudice and the dissimilarity of customs and values. It is largely due to boredom, the real killer in human relations. We do not laugh at the same jokes. We bore each other sick. Later, whenever I saw the Chinese laughing together I said, translate please, quick, quick, to get the joke. On hearing the translation, I hid behind a bewildered smile. What on earth were the chumps laughing at ?



lundi 26 septembre 2022

James (syndrome de Stendhal)

James (H.), L’Américain à Paris [The American], début (trad. automatique Google à peine retouchée...) :

"Par une belle journée de mai de l'année 1868, un monsieur était étendu à son aise sur le grand divan circulaire qui occupait alors le centre du salon carré du musée du Louvre. Cette commode ottomane a été enlevée depuis, au grand regret de tous les amateurs de beaux-arts aux genoux faibles, mais le monsieur en question avait pris sereinement possession de son endroit le plus doux, et, la tête rejetée en arrière et les jambes tendues, fixait la belle Madone lunaire de Murillo dans une profonde jouissance de sa posture. Il avait enlevé son chapeau et jeté à côté de lui un petit guide rouge et une lorgnette. La journée était chaude ; il s'était échauffé à marcher, et il passait à plusieurs reprises son mouchoir sur son front, d'un geste un peu fatigué. Et pourtant ce n'était évidemment pas un homme à qui la fatigue était familière ; long, maigre et musclé, il suggérait le type de vigueur communément appelé « ténacité ». Mais ses efforts, ce jour-là, avaient été d'un genre inhabituel, et il avait accompli de grands exploits physiques qui le laissaient moins las que sa promenade tranquille au Louvre. Il avait parcouru toutes les images auxquelles un astérisque était apposé dans ces formidables pages en petits caractères de son Bädeker ; son attention avait été tendue et ses yeux éblouis, et il s'était assis avec un mal de tête esthétique. Il avait regardé, d'ailleurs, non seulement tous les tableaux, mais toutes les copies qui circulaient autour d'eux, entre les mains de ces innombrables jeunes femmes aux toilettes irréprochables qui s'adonnent, en France, à la propagation des chefs-d'œuvre, et à vrai dire, il avait souvent beaucoup plus admiré la copie que l'original. Sa physionomie aurait suffisamment indiqué qu'il était un garçon habile et capable, et en vérité il s'était souvent appliqué toute la nuit à une liasse hérissée de comptes, et avait entendu le coq chanter sans bâiller. Mais Raphaël et Titien et Rubens étaient une nouvelle sorte d'arithmétique, et ils ont inspiré à notre ami, pour la première fois de sa vie, une vague méfiance envers lui-même."


On a brilliant day in May, in the year 1868, a gentleman was reclining at his ease on the great circular divan which at that period occupied the centre of the Salon Carré, in the Museum of the Louvre. This commodious ottoman has since been removed, to the extreme regret of all weak-kneed lovers of the fine arts, but the gentleman in question had taken serene possession of its softest spot, and, with his head thrown back and his legs outstretched, was staring at Murillo’s beautiful moon-borne Madonna in profound enjoyment of his posture. He had removed his hat, and flung down beside him a little red guide-book and an opera-glass. The day was warm ; he was heated with walking, and he repeatedly passed his handkerchief over his forehead, with a somewhat wearied gesture. And yet he was evidently not a man to whom fatigue was familiar ; long, lean, and muscular, he suggested the sort of vigor that is commonly known as “toughness.” But his exertions on this particular day had been of an unwonted sort, and he had performed great physical feats which left him less jaded than his tranquil stroll through the Louvre. He had looked out all the pictures to which an asterisk was affixed in those formidable pages of fine print in his Bädeker ; his attention had been strained and his eyes dazzled, and he had sat down with an æsthetic headache. He had looked, moreover, not only at all the pictures, but at all the copies that were going forward around them, in the hands of those innumerable young women in irreproachable toilets who devote themselves, in France, to the propagation of masterpieces, and if the truth must be told, he had often admired the copy much more than the original. His physiognomy would have sufficiently indicated that he was a shrewd and capable fellow, and in truth he had often sat up all night over a bristling bundle of accounts, and heard the cock crow without a yawn. But Raphael and Titian and Rubens were a new kind of arithmetic, and they inspired our friend, for the first time in his life, with a vague self-mistrust.


dimanche 25 septembre 2022

Rilke (Rodin)

Rilke, Rodin  Pléiade, Œuvres en prose p. 878 : 

"Il accomplissait une intention de la nature. Il parachevait quelque chose qui était en devenir et en désarroi, il mettait en lumière des cohérences. [...] Il n'a représenté personne qu'il n'ait un peu arraché de ses gonds pour le transporter dans l'avenir ; comme on tient une chose en l'air sur fond de ciel, ses formes se comprennent plus purement et plus simplement. Ce n'est pas ce qu'on appelle embellir, et rendre caractéristique n'est pas non plus l'expression qui convient. C'est davantage ; c'est séparer le durable de l'éphémère, rendre la justice, être équitable."