Berl, Sylvia I :
"L'univers de chacun est infiniment plus restreint qu'il ne se le figure. La plupart des sensations ne sont que des images, la plupart des images qu'un douteux agencement de mots ; chaque peintre révèle d'abord l'étonnante pauvreté de son univers ; Memling, Vermeer ne peignent, n'ont vu, sans doute, qu'une seule femme. Cézanne a vu des pommes, des oignons, la montagne Sainte-Victoire. Monet une cathédrale, une falaise, une gare, un étang de nymphéas. Du moins ont-ils vu quelque chose. N'ai-je rien vu, jamais ? Ne suis-je qu'une collection de faussetés ? On m'a dit que, si on retirait de mon corps toute l'eau qu'il contient, il ne resterait qu'une masse infime d'une matière serrée, pas même une tête de momie de l'Amazone, un Netzké japonais comme celui qui est sur ma table, plus petit que le fourneau de ma pipe. Ce serait encore pis, sans doute, si l'on retirait de mon passé toute la fausseté qu'il contient.
Quand même ! Il faut bien qu'il reste quelque chose. Si je n'étais que mensonge, comment saurais-je que je mens ?"