mardi 17 décembre 2024

Roth (lecture)

Roth (Philip), entretien avec P. Assouline (République des Livres, mai 2018) : 

"Dans mon pays, je n’ai pas 100 000 lecteurs parce qu’il n’y a pas 100 000 lecteurs, concentrés, attentifs, qui lisent un roman deux à trois heures par nuit, trois nuits par semaine au moins. Ce qui s’appelle lire. Car si ça traîne des semaines, la concentration s’évapore et c’est fichu. Un lecteur, c’est quelqu’un qui peut en parler autour de lui, qui est capable de tout mettre de côté pour rentrer chez lui afin de poursuivre sa lecture et qui ne ne fait rien d’autre pendant qu’il lit.”


lundi 16 décembre 2024

Duchamp (création)

Duchamp, entretien avec Georges Charbonnier :

 " — Marcel Duchamp, nous avons tous ou nous pensons tous savoir ce qu'est une oeuvre d'art. A quel moment existe-t-elle et qui la fait ? 

— Exactement, je n'en sais rien moi-même. Mais je crois que l'artiste qui fait cette oeuvre ne sait pas ce qu'il fait. Je veux dire par là : il sait ce qu'il fait physiquement, et même sa matière grise pense normalement, mais il n'est pas capable d'estimer le résultat esthétique. Ce résultat esthétique est un phénomène à deux pôles : le premier, c'est l'artiste qui produit, le second, c'est le spectateur, et par spectateur je n'entends pas seulement le contemporain, mais j'entends toute la postérité et tous les regardeurs d'oeuvres d'art qui, par leur vote, décident qu'une chose doit rester ou survivre parce qu'elle a une profondeur que l'artiste a produite, sans le savoir. Et j'insiste là-dessus parce que les artistes n'aiment pas qu'on leur dise ça. L'artiste aime bien croire qu'il est complètement conscient de ce qu'il a fait, de pourquoi il le fait, de comment il le fait, et de la valeur intrinsèque de son oeuvre. A ça, je ne crois pas du tout. Je crois sincèrement que le tableau est autant fait par le regardeur que par l'artiste. "


dimanche 15 décembre 2024

Claudel (baptême)

Claudel, Le Soulier de satin, 3° journée, sc. VIII : 


Dona Prouhèze : 

Rends-la-moi donc enfin, cette eau où je fus baptisée !

L'ange gardien : 

La voici de toutes parts qui te baigne et te pénètre.

Dona Prouhèze : 

Elle me baigne et je n'y puis goûter ! c'est un rayon qui me perce, c'est un glaive qui me divise, c'est le fer rouge effroyablement appliqué sur le nerf même de la vie, c'est l'effervescence de la source qui s'empare de tous mes éléments pour les dissoudre et les recomposer, c'est le néant à chaque moment où je sombre et Dieu sur ma bouche qui me ressuscite, et supérieure à toutes les délices, ah, c'est la traction impitoyable de la soif, l'abomination de cette soif affreuse qui m'ouvre et me crucifie !

L'ange gardien : 

Demandes-tu que je te rende à l'ancienne vie ?

Dona Prouhèze : 

Non, non, ne me sépare plus à jamais de ces flammes désirées ! Il faut que je leur donne à fondre et à dévorer cette carapace affreuse, il faut que mes liens brûlent, il faut que je leur tienne à détruire toute mon affreuse cuirasse, tout cela que Dieu n'a pas fait, tout ce roide bois d'illusion et de péché, cette idole, cette abominable poupée que j'ai fabriquée à sa place de l'image vivante de Dieu dont ma chair portait le sceau empreint !