Claudel, Le Soulier de satin, 3° journée, sc. VIII :
Dona Prouhèze :
Rends-la-moi donc enfin, cette eau où je fus baptisée !
L'ange gardien :
La voici de toutes parts qui te baigne et te pénètre.
Dona Prouhèze :
Elle me baigne et je n'y puis goûter ! c'est un rayon qui me perce, c'est un glaive qui me divise, c'est le fer rouge effroyablement appliqué sur le nerf même de la vie, c'est l'effervescence de la source qui s'empare de tous mes éléments pour les dissoudre et les recomposer, c'est le néant à chaque moment où je sombre et Dieu sur ma bouche qui me ressuscite, et supérieure à toutes les délices, ah, c'est la traction impitoyable de la soif, l'abomination de cette soif affreuse qui m'ouvre et me crucifie !
L'ange gardien :
Demandes-tu que je te rende à l'ancienne vie ?
Dona Prouhèze :
Non, non, ne me sépare plus à jamais de ces flammes désirées ! Il faut que je leur donne à fondre et à dévorer cette carapace affreuse, il faut que mes liens brûlent, il faut que je leur tienne à détruire toute mon affreuse cuirasse, tout cela que Dieu n'a pas fait, tout ce roide bois d'illusion et de péché, cette idole, cette abominable poupée que j'ai fabriquée à sa place de l'image vivante de Dieu dont ma chair portait le sceau empreint !