Valéry, Degas, Danse, dessin :
« Degas, de plus en plus solitaire et morose, ne sachant que faire de ses soirées, avait imaginé de les passer, pendant la belle saison, sur les impériales des tramways ou des omnibus. Il montait ; il se laissait mener jusqu’au bout de la course ; et, de ce terminus, reconduire jusqu’au plus près de chez lui. Il me raconta, un jour, une observation qu’il avait faite la veille sur son impériale. Elle est une de ces observations qui peignent surtout l’observateur. Il disait donc qu’une femme étant venue s’asseoir non loin de lui, il remarqua le soin qu’elle prenait d’être bien assise et bien arrangée. Elle passa les mains sur sa robe, la déplissa, se disposa et s’enfonça pour mieux épouser la courbure de la banquette ; elle tira sur ses gants au plus près de ses mains, les boutonna avec soin, se passa la langue sur les lèvres qu’elle se mordilla un peu, se remua dans son vêtement, pour se sentir tout à l’aise, et fraîche dans le linge tiède. Enfin, elle tendit sa voilette, après s’être pincé légèrement le bout du nez, remit une boucle en bonne place d’un doigt preste, et non sans avoir vérifié d’un coup d’œil le contenu de son sac, parut conclure cette série d’opérations en prenant la mine d’une personne qui a terminé son ouvrage, ou qui, ayant fait tout ce qu’on peut faire d’humain avant d’entreprendre, a l’esprit en repos et s’en remet à Dieu. »
Nabokov, Le Don trad. Girard & Alladaye, Pléiade 2-380 :
« Regarde, les photos sont prêtes. » […] Elle les fourra dans son sac à main, sortit et remit sa carte mensuelle de tramway dans son étui en Cellophane, prit un petit miroir, y jeta un coup d'oeil, dégageant ainsi le plombage de sa dent de devant, replaça le miroir à l'intérieur, referma son sac avec un bruit sec, le posa sur ses genoux, regarda son épaule, enleva d'un geste un peu de peluche, mit ses gants, tourna la tête vers la fenêtre - enchaînant tous ces gestes avec rapidité, les traits en mouvement, clignotant des yeux, mordillant et aspirant l'intérieur de ses joues. Mais à présent elle était assise, immobile, regardant vers l'extérieur, les muscles de son cou pâle tendus et ses mains gantées de blanc posées sur le cuir verni de son sac. […]
- Tu as une tache de suie sur la joue, dit Fiodor. Attention, ne l'étale pas. »
Encore le sac à main, le mouchoir, le miroir.
« Nous n'allons pas tarder à descendre, dit-elle bientôt. Quoi ?
- Rien. Je suis d'accord. Descendons là où tu voudras.
- Ici », dit-elle, deux arrêts plus loin, lui prenant le coude, se rasseyant à nouveau sous l'effet d'une secousse, se levant enfin et repêchant son sac comme s'il était dans l'eau. »