Woolf, Mrs Dalloway (traduction Pasquier) Folio p. 236-237 :
"Comme une bête privée de langage qu’on a amenée près d’une barrière dans un but inconnu, et qui se tient là, n’ayant qu’une envie, celle de repartir au galop, Elizabeth Dalloway restait assise, muette. Est-ce que Miss Kilman allait encore dire quelque chose ?
« Ne m’oubliez pas tout à fait », dit Doris Kilman. Sa voix tremblotait. Aussitôt la bête fila au galop jusqu’à l’autre bout du champ.
La grande main s’ouvrit et se referma.
Elizabeth tourna la tête. La serveuse arriva. Il fallait payer à la caisse, dit Elizabeth, et elle partit, tirant derrière elle, c’est comme cela que Miss Kilman ressentit la chose, les entrailles de son corps, les étirant sur toute la longueur de la pièce, puis, l’achevant d’un dernier coup sec, elle fit un signe de tête poli, et sortit.
Elle était partie. Miss Kilman restait assise devant le guéridon de marbre, au milieu des éclairs, assaillie, une fois, deux fois, trois fois, par une douleur brusque et lancinante. Elle était partie. Mrs Dalloway avait gagné. Elizabeth était partie. La beauté était partie, et la jeunesse."
Like some dumb creature who has been brought up to a gate for an unknown purpose, and stands there longing to gallop away, Elizabeth Dalloway sat silent. Was Miss Kilman going to say anything more?
"Don't quite forget me," said Doris Kilman; her voice quivered. Right away to the end of the field the dumb creature galloped in terror.
The great hand opened and shut.
Elizabeth turned her head. The waitress came. One had to pay at the desk, Elizabeth said, and went off, drawing out, so Miss Kilman felt, the very entrails in her body, stretching them as she crossed the room, and then, with a final twist, bowing her head very politely, she went.
She had gone. Miss Kilman sat at the marble table among the éclairs, stricken once, twice, thrice by shocks of suffering. She had gone. Mrs. Dalloway had triumphed. Elizabeth had gone. Beauty had gone, youth had gone."
Nabokov, L'Enchanteur (traduction Barbedette) Pléiade t. 2 p. 561 :
"L’arrivée de la fillette, sa respiration, ses jambes, ses cheveux, tout ce qu’elle faisait, soit se gratter la jambe et y laisser des marques blanches, soit lancer très haut en l’air une petite balle noire, soit enfin l’effleurer avec son coude nu alors qu’elle s’asseyait sur le banc – tout cela (tandis qu’il semblait absorbé dans une conversation agréable) évoquait la sensation intolérable d’une communion sanguine, dermique et multivasculaire avec elle, comme si la bissectrice monstrueuse aspirant tous les sucs des profondeurs de son être se prolongeait en elle, pareille aux pulsations d’une ligne pointillée, comme si cette fillette était en train de pousser en dehors de lui, comme si avec chaque mouvement insouciant elle tiraillait et secouait ses propres racines vitales implantées dans les entrailles de son être à lui, si bien que, lorsqu’elle changeait de position brutalement ou bien décampait en vitesse, il éprouvait une sensation de déchirement, un arrachement barbare, et une perte momentanée de l’équilibre : tout à coup on voyage dans la poussière sur le dos, la nuque cogne par terre jusqu’au moment où l’on se retrouve pendu par les entrailles."
« The girl’s arrival, her breathing, her legs, her hair, everything she did, whether it was scratching a shin and leaving white marks on it, or throwing a small black ball high in the air, or brushing against him with a bare elbow as she seated herself on the bench—all of it (while he appeared engrossed in pleasant conversation) evoked an intolerable sensation of sanguine, dermal, multivascular communion with her, as if the monstrous bisector pumping all the juices from the depths of his being extended into her like a pulsating dotted line, as if this girl were growing out of him, as if, with every carefree movement, she tugged and shook her vital roots implanted in the bowels of his being, so that, when she abruptly changed position or rushed off, he felt a yank, a barbarous pluck, a momentary loss of equilibrium : suddenly you are traveling through the dust on your back, banging the back of your head, on your way to being strung up by your insides.
Anouilh, L'Orchestre p. 299 :
"C'est un morceau de moi. quand il s'enlève, je ne suis plus entière et j'ai plus qu'à attendre qu'il veuille bien revenir. Pour me compléter. [...] C'est pour ça qu'il les aura, ses six balles, s'il fait mine d'aller bavarder ailleurs ! Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! Pan !"
Calet, La Fièvre des polders, chap. 24 :
"Le bateau s’écartait de côté, lentement. Odilia ressentait un arrachement de peau et d’entrailles. Le bateau tirait, déchirait. Une atroce douleur, quand Siska-la-paille avait extrait la sonde de son corps. »