samedi 4 décembre 2021

Houellebecq + Foucault (homme)

    Foucault, Les Mots et les choses, fin :
   "L'homme est une invention dont l'archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine.
   Si ces dispositions venaient à disparaître comme elles sont apparues, si par quelque événement dont nous pouvons tout au plus pressentir la possibilité, mais dont nous ne connaissons pour l'instant encore ni la forme ni la promesse, elles basculaient, comme le fit au tournant du XVIIIe siècle le sol de la pensée classique, – alors on peut bien parier que l'homme s'effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable."

   Houellebecq, Les Particules élémentaires, fin :
   "Cette espèce aussi qui, pour la première fois de l’histoire du monde, sut envisager la possibilité de son propre dépassement ; et qui, quelques années plus tard, sut mettre ce dépassement en pratique. Au moment où ses derniers représentants vont s’éteindre, nous estimons légitime de rendre à l’humanité ce dernier hommage, hommage qui, lui aussi, finira par s’effacer et se perdre dans les sables du temps ; il est cependant nécessaire que cet hommage, au moins une fois, ait été accompli. Ce livre est dédié à l’homme."

   Buvik (Per) article :  Inauthenticité et ironie : À propos des Particules élémentaires :
   "... Les Particules élémentaires, où l’on trouve également un dialogue subtil avec Foucault à propos de « la fin de l’homme », dialogue qui n’abolit pas, pour autant, toute ambiguïté quant à savoir si la vision finale du roman est à considérer comme utopique ou dystopique.
   À la fin de La Possibilité d’une Île, - la mort de l’homme et sa disparition dans la mer -, Michel Houellebecq semble aussi s’être inspiré de Michel Foucault : « L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine […] on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable »



jeudi 2 décembre 2021

Gombrowicz (forme)

     Gombrowicz, Ferdydurke IV :
   "Toute forme ne repose-t-elle pas sur une élimination, toute construction n’est-elle pas un amoindrissement, et une expression peut-elle refléter autre chose qu’une partie seulement du réel ? Le reste est silence. Enfin est-ce nous qui créons la forme ou est-ce elle qui nous crée ? Nous avons l’impression de construire. Illusion : nous sommes en même temps construits par notre construction. Ce que vous avez écrit vous dicte la suite, l’œuvre ne naît pas de vous, vous vouliez écrire une chose et vous en avez écrit une autre tout à fait différente. Les parties ont un penchant pour le tout, chacune d’elles vise le tout en cachette, tend à s’arrondir, cherche des compléments, désire un ensemble à son image et à sa ressemblance. Dans l’océan déchaîné des phénomènes, notre esprit isole une partie, par exemple une oreille ou un pied, et dès le début de l’œuvre cette oreille ou ce pied vient sous notre plume et nous ne pouvons plus nous en débarrasser, nous continuons en fonction de cette partie, c’est elle qui nous dicte les autres éléments. Nous nous enroulons autour d’une partie comme le lierre autour du chêne, notre début appelle la fin et notre fin le début, le milieu se créant comme il peut entre les deux. L’impossibilité absolue de créer la totalité caractérise l’âme humaine. "



mercredi 1 décembre 2021

Chalamov (froid)

 Chalamov, Récits de la Kolyma, éd. Verdier p.36 :

"On ne montrait pas le thermomètre aux travailleurs : c’était d’ailleurs parfaitement inutile : il fallait sortir quelle que fût la température. En outre, les anciens se passaient de thermomètre : s’il y a du brouillard, il fait quarante degrés au-dessous de zéro ; si on respire sans trop de peine, mais que l’air s’exhale avec bruit, cela veut dire qu’il fait moins quarante-cinq ; si la respiration est bruyante et s’accompagne d’un essoufflement visible, il fait moins cinquante. Au-dessous de moins cinquante, un crachat gèle au vol. Cela faisait déjà deux semaines que les crachats gelaient au vol."



Aymé (montagne)

  Aymé, Uranus chap. X :
   "Voyez comme la vie est mal faite. Je suis né dans la montagne, je ne me sens bien que dans la montagne. C’est tout de même une chose qui compte de se sentir d’accord avec le sol où on est accroché. J’y pense souvent et pour me dire que c’est peut-être là l’essentiel. Mais dans mon village, j’ai eu le tort d’être un bon écolier consciencieux. Le maître m’a poussé dans l’engrenage des écoles et un beau jour, la machine à fabriquer des ingénieurs m’a déposé dans un bête de pays que je n’aime pas, où je regrette mes montagnes et un autre genre d’existence."
 

mardi 30 novembre 2021

Boudard + Galey (Aragon)

Aragon vu par 


Boudard (Alphonse), L’Éducation d’Alphonse : 

"Aragon, lui, en tout cas ne donne pas dans le genre loquedu. Je m’attendais presque à le voir arriver à vélo, avec les pinces au bas du false… col roulé et pourquoi pas une gapette sur la tronche. Erreur de pronostic, il entre et ça me paraît une sorte de banquier, de notable richissime. Bada Eden… un manteau droit… un col, il me semble, dur… une cravate en soie à rayures. Rien du travailleur tel que le Parti le célèbre. Aucune fantaisie vestimentaire non plus."

sur le chapeau "Eden" :

https://jaimelesmots.com/le-homburg-le-eden-ou-le-chapeau-du-parrain/


Galey (Matthieu), Journal 1953-1973, p. 282 (29-XI-1963) : [déjà mis en ligne le 31 déc. 2019]

"Au Masque et la Plume : Aragon. Il est venu réciter des passages de son prochain livre, Le Fou d'Elsa. Beau, avec le profil net, les cheveux bien blancs ; le complet croisé bleu sombre : un P-DG. Il dit quelques mots : précieux, un tantinet poseur. Puis il s'installe et se met à déclamer - oui, déclamer ! - pire que Malraux (plus Comédie-Française), enflant la voix au rythme des vers, victorhuguesque, ridicule. Les vieilles dames un peu réticentes - un communiste ! - ne tardent pas à se pâmer, reconnaissant un des leurs : un poète du XIX°. Evtouchenko lui a tourné la tête... Kanters chuchote : 'On se croirait chez Mme de Bargeton !' 

Seule dans une loge, Elsa, l'œil mi-clos, hume cet encens. Tandis que Bastide, bras croisés, tête basse, adopte l'attitude d'un croyant à l'élévation. Cabotin ou sincère ?"

 

dimanche 28 novembre 2021

Comte (Ferraz)

Ferraz (Marin), Étude sur la philosophie en France au XIX° siècle (Le socialisme, le naturalisme et le positivisme), 2° éd., 1877 : 

"Étranger, comme la plupart des socialistes, aux études métaphysiques et très versé dans les études scientifiques, Auguste Comte s'est fait une philosophie en rapport avec ses habitudes d'esprit : la science y règne seule, et la métaphysique n'y brille que par son absence. On peut la définir la philosophie du relatif. Pour Comte, en effet, il n'y a qu'une seule maxime absolue, c'est qu'il n'y a rien d'absolu. Cela signifie que nous pouvons connaître les faits dans leurs rapports avec d'autres faits, c'est-à-dire avec leurs antécédents constants, avec leurs conséquents invariables, en un mot, avec leurs lois ; mais que les causes qui les engendrent, les substances auxquelles ils adhèrent, les fins où ils tendent, nous échappent complètement, car qui dit cause, substance ou fin, dit quelque chose d'absolu et d'inconditionnel. C'est là le principe fondamental du système, principe qui est affirmé partout, sans être démontré nulle part, et qui constitue, à vrai dire, le positivisme tout entier."


sur Ferraz cf. :

https://www.babelio.com/auteur/Marin-Ferraz/356571



Bouvier (amour)

Bouvier, Le Poisson-scorpion, Folio p. 91-92 : 

"Pourquoi dans toutes nos langues occidentales dit-on "tomber amoureux" ? Monter serait plus juste. L'amour est ascensionnel comme la prière. Ascensionnel et éperdu. Chez les insectes isoptères, tout individu sexué reçoit aussitôt sa paire d'ailes. Je la revoyais une nuit à mes côtés sur la jetée du port de ma ville natale. L'été, le silence, l'approche de l'aube. Je la connaissais d'une semaine (Kant, Hermann Hesse, tennis). Je la trouvais superbe. Nous marchions du même pas, sans aucun bruit. Je reconnaîtrais sans peine l'endroit où j'ai senti comme une aveuglante déchirure dans le noir, où j'ai eu les poumons dévorés de bonheur. La vie d'un coup, acérée, musicale, intelligible."


[la parenthèse, elliptique, à la Nabokov...]