samedi 30 avril 2022

Baudelaire (mort des amants)

... pour ce qui est probablement la millième page de ce blog, un poème parfait :


Baudelaire 


           La Mort des Amants


Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,

Des divans profonds comme des tombeaux,

Et d'étranges fleurs sur des étagères,

Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.


Usant à l'envi leurs chaleurs dernières,

Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux,

Qui réfléchiront leurs doubles lumières

Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.


Un soir fait de rose et de bleu mystique,

Nous échangerons un éclair unique,

Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux ;


Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,

Viendra ranimer, fidèle et joyeux,

Les miroirs ternis et les flammes mortes.



vendredi 29 avril 2022

Gide (unité)

Gide, Journal, Feuillets (1° éd. p. 351) :

"Il y a dans ce livre [de Wells] des pages qui ne peuvent amuser que des enfants, des gens neufs ; d'autres pages pour plaire aux vieux avertis que nous sommes, mais qui rebuteront les premiers ; d'autres enfin où il ne semble amuser que je ne sais quel autre lui-même... [...] Aux fameuses trois unités, volontiers j'ajouterais une quatrième : l'unité du spectateur. Elle impliquerait qu'il importe que, pièce ou livre, la création poétique s'adresse, d'un bout à l'autre de sa durée, au même lecteur ou auditeur."



jeudi 28 avril 2022

Diogène Laerce (Thalès ; enfants)

Diogène Laerce, Vies, § Thalès trad. Genaille : 

"Héraclite cite une opinion de Clytos selon laquelle Thalès aurait eu une vie retirée et solitaire. Les uns disent qu’il se maria et eut un fils nommé Kibissos. D’autres prétendent qu’il resta célibataire et adopta le fils de sa soeur, qu’on lui demanda un jour pourquoi il ne cherchait pas à avoir des enfants, et qu’il répondit : « Par amour pour les enfants. » Sa mère l’exhortait à se marier, il lui répondit : « Non, par Zeus, il n’est pas encore temps. » Elle l’y invita une nouvelle fois quand il eut pris de l’âge, mais il lui dit : « Il n’est plus temps »."



mercredi 27 avril 2022

Rousseau (goût)

Rousseau, La nouvelle Héloïse, Lettre XII : 

"J'ai toujours cru que le bon n'étoit que le beau mis en action, que l'un tenoit intimement à l'autre, et qu'ils avoient tous deux une source commune dans la nature bien ordonnée. Il suit de cette idée que le goût se perfectionne par les mêmes moyens que la sagesse, et qu'une âme bien touchée des charmes de la vertu doit à proportion être aussi sensible à tous les autres genres de beautés. On s'exerce à voir comme à sentir, ou plutôt une vue exquise n'est qu'un sentiment délicat et fin. C'est ainsi qu'un peintre, à l'aspect d'un beau paysage ou devant un beau tableau, s'extasie à des objets qui ne sont pas même remarqués d'un spectateur vulgaire. Combien de choses qu'on n'aperçoit que par sentiment et dont il est impossible de rendre raison ! Combien de ces je ne sais quoi qui reviennent si fréquemment et dont le goût seul décide ! Le goût est en quelque maniere le microscope du jugement ; c'est lui qui met les petits objets à sa portée, et ses opérations commencent où s'arrêtent celles du dernier. Que faut-il donc pour le cultiver ? s'exercer à voir ainsi qu'à sentir, et à juger du beau par inspection comme du bon par sentiment. Non, je soutiens qu'il n'appartient pas même à tous les coeurs d'être émus au premier regard de Julie."


mardi 26 avril 2022

Chateaubriand (vieillards)

Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, L. de Poche t. 1  p. 235 : 

"Les vieillards d’autrefois étaient moins malheureux et moins isolés que ceux d’aujourd’hui : si, en demeurant sur la terre, ils avaient perdu leurs amis, peu de chose du reste avait changé autour d’eux ; étrangers à la jeunesse, ils ne l’étaient pas à la société. Maintenant, un traînard dans ce monde a non seulement vu mourir les hommes, mais il a vu mourir les idées : principes, mœurs, goûts, plaisirs, peines, sentiments, rien ne ressemble à ce qu’il a connu. Il est d’une race différente de l’espèce humaine au milieu de laquelle il achève ses jours."



lundi 25 avril 2022

Louÿs (amour)

Louÿs, Aphrodite Folio p. 82 : 

"Les navigateurs qui ont parcouru les mers de pourpre, au delà du Gange, racontent qu'ils ont vu, sous les eaux, des roches qui sont de pierre d'aimant. Quand les vaisseaux passent auprès d'elles, les clous et les ferrures s'arrachent vers la falaise sous-marine et s'unissent à elle à jamais. Et ce qui fut une nef rapide, une demeure, un être vivant, n'est plus qu'une flottille de planches, dispersées par le vent, retournées par les flots. Ainsi Démétrios se perdait en lui-même devant deux grands yeux attirants, et toute sa force le fuyait."


dimanche 24 avril 2022

Adamov (bois)

Adamov, L'Aveu :

"Le bois est, par excellence, le grand porteur de vie, le réservoir des énergies profondes. Le bois, c'est la vie qui jaillit de la terre. C'est l'appel souterrain, par la pieuvre aspirante des racines, du suc le plus pur de la vie, la sève, ce feu froid, ce sang blanc issu de l'abîme montant vers les feuilles mouvantes au grand espace solaire par d'innombrables et fines voies, faisceaux de jets liquides qui, épaissis, au contact de l'air se font la chair vivante du tronc et des branches, et morts, leur dure cuirasse."