mercredi 27 avril 2022

Rousseau (goût)

Rousseau, La nouvelle Héloïse, Lettre XII : 

"J'ai toujours cru que le bon n'étoit que le beau mis en action, que l'un tenoit intimement à l'autre, et qu'ils avoient tous deux une source commune dans la nature bien ordonnée. Il suit de cette idée que le goût se perfectionne par les mêmes moyens que la sagesse, et qu'une âme bien touchée des charmes de la vertu doit à proportion être aussi sensible à tous les autres genres de beautés. On s'exerce à voir comme à sentir, ou plutôt une vue exquise n'est qu'un sentiment délicat et fin. C'est ainsi qu'un peintre, à l'aspect d'un beau paysage ou devant un beau tableau, s'extasie à des objets qui ne sont pas même remarqués d'un spectateur vulgaire. Combien de choses qu'on n'aperçoit que par sentiment et dont il est impossible de rendre raison ! Combien de ces je ne sais quoi qui reviennent si fréquemment et dont le goût seul décide ! Le goût est en quelque maniere le microscope du jugement ; c'est lui qui met les petits objets à sa portée, et ses opérations commencent où s'arrêtent celles du dernier. Que faut-il donc pour le cultiver ? s'exercer à voir ainsi qu'à sentir, et à juger du beau par inspection comme du bon par sentiment. Non, je soutiens qu'il n'appartient pas même à tous les coeurs d'être émus au premier regard de Julie."