samedi 8 mai 2021

Wilde (vertus)

 Wilde, Un mari idéal acte I, traduction Desprats : 

"Rappelez-vous où vous a amenés votre puritanisme en Angleterre. Autrefois, personne ne prétendait valoir un peu mieux que ses voisins. En réalité, valoir un peu mieux que son voisin était considéré comme excessivement vulgaire et bourgeois. De nos jours, avec notre manie moderne de la morale, chacun est obligé de se poser en modèle de pureté, d'incorruptibilité et des sept vertus capitales... et quel est le résultat ? Vous tombez tous comme des quilles... les uns après les autres. Il ne se passe pas une année en Angleterre sans que quelqu'un disparaisse. Autrefois les scandales conféraient à un homme un certain charme, ou du moins un certain intérêt ; aujourd'hui, ils l'écrasent. "


Remember to what a point your Puritanism in England has brought you. In old days nobody pretended to be a bit better than his neighbours. In fact, to be a bit better than one's neighbour was considered excessively vulgar and middle-class. Nowadays, with our modern mania for morality, every one has to pose as a paragon of purity, incorruptibility, and all the other seven deadly virtues - and what is the result? You all go over like ninepins - one after the other. Not a year passes in England without somebody disappearing. Scandals used to lend charm, or at least interest, to a man - now they crush him. 


vendredi 7 mai 2021

Fabri (unanimisme)

 Fabri (Marcello) 

"Dans ce matin froid d’hiver occidental, la ville était encore en marche, le mouvement était puissant, mais la foule n’était pas lourde et houleuse comme une mer mauvaise [...] elle était presque ordonnée, allègre, joyeuse, soufflant dans ses mains bleuies de froid, ou criant par ses innombrables bouches aux lèvres gercées. [...]

La cadence des pieds ferrés, posés ensemble sur le sol ; les hachures parallèles des fusils au-dessus des têtes, l’uniformité passive de l’attitude des soldats transportait le peuple des rues. Le sentiment de 'leur force' donnait aux plus esclaves, du courage physique et des désirs de bataille."


sur M Fabri, voir 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Marcello_Fabri

et

https://lmda.net/1999-10-mat02871-marcello-fabri


sur l'unanimisme, voir dans les textes de J. Romains :

https://lelectionnaire.blogspot.com/search/label/Romains%20J.


jeudi 6 mai 2021

Flaubert (couvre-chef)

 Flaubert, Madame Bovary  I, 1 traduction Eleanor Marx-Aveling* (1886) :

"It was one of those head-gears of composite order, in which we can find traces of the bearskin, shako, billycock hat, sealskin cap, and cotton night-cap ; one of those poor things, in fine, whose dumb ugliness has depths of expression, like an imbecile's face. Oval, stiffened with whalebone, it began with three round knobs; then came in succession lozenges of velvet and rabbit-skin separated by a red band ; after that a sort of bag that ended in a cardboard polygon covered with complicated braiding, from which hung, at the end of a long thin cord, small twisted gold threads in the manner of a tassel. The cap was new ; its peak shone."


* (fille de Karl Marx)


C'était une de ces coiffures d'ordre composite, où l'on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile. Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis s'alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d'une broderie en soutache compliquée, et d'où pendait, au bout d'un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d'or, en manière de gland. Elle était neuve ; la visière brillait. 


mercredi 5 mai 2021

Edwards (poésie anglaise)

 Edwards (Michael), Le Génie de la poésie anglaise chap. 1 : 

"Les caractéristiques de la poésie anglaise [...] semblent bien correspondre [...] à la constitution de la langue et de la prosodie anglaises. Si même elle véhicule des idées aériennes ou des émotions éthérées, la syntaxe de l'anglais garde les pieds sur terre, suit la configuration du réel et le mouvement du temps, à cause de son articulation progressive et de son passage par une multiplicité de prépositions et d'autres particules. Dans le vocabulaire panaché de l'anglais à partir du XI° siècle, le fonds germanique encourage à rester près du commun et du familier, alors que le fonds franco-latin incline à s'aventurer dans le rare et l'étrange. La nature immense et accueillante du vocabulaire anglais expliquerait en partie un autre élément du génie de la poésie anglaise, l'existence de tant de traductions si achevées qu'elles sont des chefs-d'œuvre, non seulement de la traduction mais de la poésie. Même le jeu entre les célèbres et fourmillants monosyllabes, d'origine généralement germanique, et les polysyllabes venus du français et du latin favorisent, là une lenteur en visitant les objets, les émotions et les idées qui sont à portée de la main, ici une rapidité à survoler le réel et à le voir d'un regard nouveau. Toute la poésie anglaise, depuis Hastings, tisse ensemble les deux éléments majeurs de la langue ; beaucoup de poètes passent de l'un à l'autre en connaissance de cause ; aux deux extrêmes se tiennent la poésie 'latine' de Milton et la poésie 'germanique' de Hopkins."


mardi 4 mai 2021

Woolf (Henry James)

 Woolf V., Pléiade 1 p. 1340 : 

"[Henry James] a fixé sur moi un regard vide de toute expression [...] et a déclaré : 'Ma chère Virginia, on me dit - on me dit - on me dit - que vous - et d'ailleurs étant la fille de votre père, que dis-je, la petite fille de votre grand-père - la descendante, si je puis dire, d'un siècle - d'un siècle - de plumes d'oie et d'encr- d'encr- d'encriers, oui oui oui, on me dit - humumum - que vous, en bref, que vous écrivez." 


James fixed me with his staring blank eye—it is like a childs marble—and said : ‘My dear Virginia, they tell me—they tell me—they tell me—that you—as indeed being your fathers daughter nay your grandfathers grandchild—the descendant I may say of a century—of a century—of quill pens and ink—ink—ink pots, yes, yes, yes, they tell me—ahm m m—that you, that you, that you write in short.’


lundi 3 mai 2021

Gadda (incipit x 5)

 Gadda, Quer pasticciaccio brutto de via Merulana 1957 (incipit)

"Tutti oramai lo chiamavano don Ciccio. Era il dottor Francesco Ingravallo comandato alla mobile : uno dei più giovani e, non si sa perché, invidiati funzionari della sezione investigativa : ubiquo ai casi, onnipresente su gli affari tenebrosi. Di statura media, piuttosto rotondo della persona, o forse un po’ tozzo, di capelli neri e folti e cresputi che gli venivan fuori dalla metà della fronte quasi a riparargli i due bernoccoli metafisici dal bel sole d’Italia, aveva un’aria un po’ assonnata, un’andatura greve e diniccolata, un fare un po’ tonto come di persona che combatte con una laboriosa digestione : vestito come il magro onorario statale gli permetteva di vestirsi, e con una o due macchioline d’olio sul bavero, quasi impercettibili però, quasi un ricordo della collina molisana. Una certa praticaccia del mondo, del nostro mondo detto latino, benché giovine (trentacinquenne), doveva di certo avercela : una certa conoscenza degli uomini : e anche delle donne."


écouter (et voir) cet incipit, merveilleusement rendu par Fabrizio Gifuni :

https://www.youtube.com/watch?v=CjwmQc6pPhU



 GaddaL'affreux Pastis de la rue des merles, traduction Louis Bonalumi (1963), incipit : 

[débute étrangement par un membre de phrase prélevé quelques lignes plus bas dans l'original, souligné ci-dessous]


"Étourdissant d'ubiquité, omniprésent à chaque ténébreuse affaire. Tous désormais l'appelaient don Ciccio, de son vrai nom Francesco Ingravallo, détaché à la "mobile", un des plus jeunes fonctionnaires du bureau des enquêtes, et des plus jalousés, Dieu sait pourquoi. La taille moyenne, assez rebondi de sa personne, ou bien peut-être un tantinet courtaud, le cheveu noir, dru et crépu, enraciné jusqu'à mi-front — comme pour protéger ses bosses métaphysiques exposées au bel astre du ciel d'Italie — il avait l'air un peu ensommeillé, l'allure appesantie et nonchalante, le geste vaguement balourd du particulier qui combat une digestion laborieuse. Pour le reste, vêtu selon les disponibilités d'un traitement cachexique, avec en sus, au revers du veston, deux ou trois mouchetures d'huile, mais presque imperceptibles, presque en souvenir de son Molise natal. Sans doute devait-il posséder, quoique jeune encore (trente-cinq ans), une certaine routine de notre monde dit "latin", une certaine expérience des hommes, et des femmes." 



 GaddaL'affreuse Embrouille de via Merulana, traduction Jean-Paul Manganaro (2016), incipit :


"Tous l’appelaient désormais don Ciccio. C’était le dottor Francesco Ingravallo détaché à la garde mobile : l’un des fonctionnaires les plus jeunes et, on ne sait pourquoi, jalousés du bureau des enquêtes : doué d’ubiquité, omniprésent dans les affaires ténébreuses. De taille moyenne, plutôt replet de sa personne, ou peut-être un peu trapu, les cheveux noirs, touffus et crépus qui semblaient sortir à mi-hauteur de son front, comme pour abriter du beau soleil d’Italie ses deux bosses métaphysiques, il avait un air un peu somnolent, une allure lourde et indolente, la façon d’agir un peu niaise de quelqu’un qui lutte avec une digestion laborieuse : habillé comme le maigre traitement de l’État le lui permettait, et avec une ou deux petites taches d’huile sur le col, presque imperceptibles cependant, comme un souvenir des collines de son Molise. À coup sûr, bien que jeune encore (trente-cinq ans), il avait une certaine pratique routinière du monde, de notre monde dit "latin" : une certaine connaissance des hommes : et aussi des femmes."



 GaddaThat Awful Mess On The Via Merulana, traduction William Weaver (1965), incipit :


"Everybody called him Don Ciccio by now. He was Officer Francesco Ingravallo, assigned to homicide ; one of the youngest and, God knows why, most envied officials of the detective section : ubiquitous as the occasion required, omnipresent in all tenebrous matters. Of medium height, rather rotund as to physique, or perhaps a bit squat, with black hair, thick and curly, which sprang forth from his forehead at the halfway point, as if to shelter his two metaphysical knobs from the fine Italian sun, he had a somnolent look, a heavy, lumbering walk, a slightly dull manner, like a person fighting a laborious digestion ; dressed as well as his slender government salary allowed him to dress, with one or two little stains of olive oil on his lapel, almost imperceptible however, like a souvenir of the hills of his Molise. A certain familiarity with the ways of the world, with our so-called "Latin" world, though he was young (thirty-five), must have been his : a certain knowledge of men : and also of women."



dimanche 2 mai 2021

Céline (acouphènes)

 Céline, Mort à crédit Pléiade p. 536-537 :

"Fièvre ou pas, je bourdonne toujours et tellement des deux oreilles que ça peut plus m’apprendre grand-chose. Depuis la guerre ça m’a sonné. Elle a couru derrière moi, la folie... tant et plus pendant vingt-deux ans. C’est coquet. Elle a essayé quinze cents bruits, un vacarme immense, mais j’ai déliré plus vite qu’elle, je l’ai baisée, je l’ai possédée au « finish ». Voilà ! Je déconne, je la charme, je la force à m’oublier. Ma grande rivale c’est la musique, elle est coincée, elle se détériore dans le fond de mon esgourde... Elle en finit pas d’agonir... Elle m’ahurit à coups de trombone, elle se défend jour et nuit. J’ai tous les bruits de la nature, de la flûte au Niagara... Je promène le tambour et une avalanche de trombones... Je joue du triangle des semaines entières... Je ne crains personne au clairon. Je possède encore moi tout seul une volière complète de trois mille cinq cent vingt-sept petits oiseaux qui ne se calmeront jamais... C’est moi les orgues de l’Univers... J’ai tout fourni, la bidoche, l’esprit et le souffle... Souvent j’ai l’air épuisé. Les idées trébuchent et se vautrent. Je suis pas commode avec elles. Je fabrique l’Opéra du déluge. Au moment où le rideau tombe c’est le train de minuit qui entre en gare... La verrière d’en haut fracasse et s’écroule... La vapeur s’échappe par vingt-quatre soupapes... les chaînes bondissent jusqu’au troisième... Dans les wagons grands ouverts trois cents musiciens bien vinasseux déchirent l’atmosphère à quarante-cinq portées d’un coup...

Depuis vingt-deux ans, chaque soir il veut m’emporter... à minuit exactement... Mais moi aussi je sais me défendre... avec douze pures symphonies de cymbales, deux cataractes de rossignols... un troupeau complet de phoques qu’on brûle à feux doux... Voilà du travail pour célibataire... Rien à redire. C’est ma vie seconde. Elle me regarde."