vendredi 9 décembre 2022

Kahn G. (Rodin)

Kahn (Gustave), cité par Jarrassé (Dominique) : Rodin, la passion du mouvement p. 210 : 

[à propos des innombrables moulages] 

“Ce sont des approximations qui le mèneront à la formule définitive. Quand la gloire sera venue, toutes ces ébauches seront proposées comme des états, aussi intéressants que la réalisation définitive. Le stade du moulage, qui n'était qu'un tâtonnement, devient une date. Dès le temps de la Porte de l'Enfer, Rodin commence à qualifier d'œuvres ses fragments, ses études. De par la verve et la force (sinon la perfection) qu'il apporte à ses préparations, telles études de bras allongés, de mains crispées, lui apparaissent constituer un tout qu'il vendra à l'amateur. Il tient davantage à celles de ces études partielles qui lui paraissent réussies qu'à certaines des petites œuvres totalement réalisées.“



jeudi 8 décembre 2022

Delacroix (restauration)

Delacroix,  Journal, 6 août 1850 : 

“Plus j’assiste aux efforts que l’on fait pour restaurer les églises gothiques, et surtout pour les peindre, plus je persévère dans mon goût de les trouver d’autant plus belles qu’elles sont moins peintes. On a beau me dire et me prouver qu’elles l’étaient, chose dont je suis convaincu, puisque les traces existent encore, je persiste à penser qu’il faut encore les laisser comme le temps les a faites ; cette nudité les pare suffisamment ; l’architecture a tout son effet, tandis que nos efforts, à nous autres hommes d’un autre temps, pour illuminer ces beaux monuments, les couvrent de contresens qui font tout grimacer, rendent tout faux et odieux. Les vitraux que le roi de Bavière a donnés à Cologne sont encore un échantillon malheureux de nos écoles modernes ; tout cela est plein du talent des Ingres et des Flandrin. Plus cela veut ressembler au gothique, plus cela tourne au colifichet, à la petite peinture néo-chrétienne des adeptes modernes. Quelle folie et quel malheur quand cette fureur, qui pourrait s’exercer sans nuire dans nos petites expositions, est appliquée à dégrader de beaux ouvrages comme ces églises.   

+ 29 juil 1854  : 

“Chaque restauration prétendue est un outrage mille fois plus regrettable que celui du temps ; ce n’est pas un tableau restauré qu’on vous donne, mais un autre tableau, celui du misérable barbouilleur qui s’est substitué à l’auteur du tableau véritable qui disparaît sous les retouches.“


rappel : 

Suarès : 

https://lelectionnaire.blogspot.com/2022/11/suares-cene.html


mercredi 7 décembre 2022

Gracq (banlieue)

Gracq Lettrines 2 : 

“La neige fondait, ne laissait plus au creux des labours que des lignes blanches, sinueuses et discontinues comme des lignes d’écriture, les lointains à trois cents mètres se perdaient dans l’air gris du dégel. Je voyais défiler devant moi les villas trempées du Vésinet et du Pecq au fond de leurs jardinets de brindilles noires, les avenues vides et mouillées entre les grilles que rien d’autre n’éveillerait au long des journées que l’égouttement des branches, le terreau huileux des carrés de légumes gelés, puis la terrasse de Saint-Germain avec la pente de ses jardins filigranés de neige, la longue barre grise de l’esplanade au dessus des taillis violets, la Seine sans couleur et la rive plate en face comme un morceau de steppe mangé par le brouillard. Le sentiment d’une intimité tendre montait de cette banlieue morfondue et recueillie.“



mardi 6 décembre 2022

Céline (remémoration)

Céline, Féerie 2, incipit :

"Raconter tout ça après... c'est vite dit !... c'est vite dit !... On a tout de même l'écho encore... brroum !... la tronche vous oscille... même sept ans passés... le trognon !... le temps n'est rien, mais les souvenirs !... et les déflagrations du monde !... les personnes qu'on a perdues... les chagrins... les potes disséminés... gentils... méchants... oublieux... les ailes des moulins... et l'écho encore qui vous secoue... Je serai projeté dans la tombe avec !... Nom de brise ! j'en ai plein la tête !... plein le buffet... Brrroum !... je ressens... j'accuse... je vibre des os, là dans mon lit... mais je vous perds pas !... je vous rattraperai de ci, de là... tout est là ! le caractère !... des loques aux bourrasques ! on peut le dire ! broum !..."



lundi 5 décembre 2022

Beaumarchais (calomnie)

Beaumarchais, Le Barbier de Séville Acte II, sc. 8 : 

“D’abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l'orage, pianissimo murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano, vous le glisse en l'oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine et rinforzando de bouche en bouche, il va le diable ; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez Calomnie se dresser, siffler, s'enfler, grandir à vue d'œil. Elle s'élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grâce au Ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait ?“


dimanche 4 décembre 2022

Delacroix (composition)

    Delacroix, Journal, 1° septembre 1859 :  
   ‘’Le réaliste le plus obstiné est bien forcé d’employer, pour rendre la nature, certaines conventions de composition ou d’exécution. S’il est question de la composition, il ne peut prendre un morceau isolé ou même une collection de morceaux pour en faire un tableau. Il faut bien circonscrire l’idée, pour que l’esprit du spectateur ne flotte pas sur un tout nécessairement découpé ; sans cela, il n’y aurait pas d’art. Quand un photographe prend une vue, vous ne voyez jamais qu’une partie d’un tout : le bord du tableau est aussi intéressant que le centre ; vous ne voyez qu’une portion qui semble choisie au hasard. L’accessoire est aussi capital que le principal ; le plus souvent, il se présente le premier et offusque la vue. […] Devant la nature même, c’est notre imagination qui fait le tableau : nous ne voyons ni les brins d’herbe dans un paysage, ni les accidents de la peau dans un joli visage.’’