samedi 21 octobre 2023

Goncourt (Flaubert)

Goncourt, Journal 3 mars 1862 : 

"Figurez-vous, s’écrie Gautier, que, l’autre jour, Flaubert me dit : “C’est fini, je n’ai plus qu’une dizaine de pages à écrire, mais j’ai toutes mes chutes de phrases.” Ainsi, il a déjà la musique des fins de phrases qu’il n’a pas encore faites ! Il a ses chutes, que c’est drôle, hein ?… Moi, je crois qu’il faut surtout dans la phrase un rythme oculaire. Par exemple, une phrase qui est très longue en commençant, ne doit pas finir petitement, brusquement, à moins d’un effet. Puis très souvent, son rythme, à Flaubert, n’est que pour lui seul et nous échappe. Un livre n’est pas fait pour être lu à haute voix, et lui se gueule les siens à lui-même. Or, il y a des gueuloirs dans ses phrases qui lui semblent harmoniques, mais il faudrait lire comme lui, pour avoir l’effet de ces gueuloirs. […] Le pauvre garçon a un remords qui empoisonne sa vie. Ça le mènera au tombeau. Vous ne le connaissez pas, ce remords, c’est d’avoir accolé dans Madame Bovary deux génitifs, l’un sur l’autre : "Une couronne de fleurs d’oranger". Ça le désole, mais il a eu beau chercher, il lui a été impossible de faire autrement…" 


vendredi 20 octobre 2023

Valéry (homme double)

Valéry, Cahiers, Pléiade t. 2 p. 988 : 

"On peut diviser l’existence mentale d’un homme très cultivé en deux parties.

La 1° commune avec les autres hommes pendant laquelle il réduit ses perceptions et les combine en vue de l’utilité.

La 2°, particulière et parfois singulière pendant laquelle il recherche à re-percevoir les choses abolies – et à retrouver le primitif chaos – la totalité de sa sensibilité – les sensations subjectives – les bavures – les “erreurs” des sens, c’est-à-dire les sensations non corroborées par d’autres – les coïncidences etc., le quelconque."


jeudi 19 octobre 2023

Chevallier (politique)

Chevallier (G.), Les Héritiers Euffe chap. XII :

"— Et maintenant vous voulez être député de gauche !

 — Oh, disait Edmond, de gauche, je n’y tiens pas. Je voudrais être député, voilà tout.

 — Et pour être député, vous êtes prêt à lâcher les gens de votre bord !

 — De mon bord, de mon bord ! C’est qu’ils sont mal placés. Ils veulent conserver leur fortune et n’ont rien à promettre à l’électeur. Les hommes de gauche, eux, peuvent promettre les fortunes de la droite, qui ne leur appartiennent pas. C’est une énorme supériorité qu’ils ont sur nous.

 — Pourtant, disait Claire, les gens de notre parti représentent l’ordre et la durée.

— Mais les gens ne demandent pas l’ordre. Ils l’ont d’ailleurs, dans l’ensemble, et le considèrent comme acquis. Ce qu’ils réclament, c’est des avantages, des privilèges. Il faut attendre que la gauche soit enrichie, pour que la droite ait enfin un programme électoral efficace : désigner aux appétits la fortune de ses adversaires politiques."


mercredi 18 octobre 2023

Goncourt (médecins)

Goncourt, Journal 1869 :

"Il n'y a plus ni médecine ni médecins à l'heure qu'il est, plus de médecin de famille et d'habitude, qui suive son malade. Le médecin est maintenant un homme qui ne se dérange plus, qui a son hôpital le matin […] et qui […] dans le bruit incessant du timbre annonçant une nouvelle visite et un nouveau louis, éreinté, effaré, ahuri par le tourbillonnement des maladies et des ordonnances, vous donne cinq minutes d'une consultation au petit bonheur !"

 

rappel : 

https://lelectionnaire.blogspot.com/2023/07/goncourt-internes.html


mardi 17 octobre 2023

Drillon (lecture)

Drillon, Cadence (2018) :

"Je me souviens du Baudelaire de Calasso, lu récemment. On en lit dix lignes, parfois trois ou quatre, et l’on s’arrête pour rêvasser ou réfléchir ; on reprend, on s’arrête de nouveau : il remue tant de choses en vous ! Il faut aller chercher Les Fleurs du mal, se rafraîchir la mémoire, et puis Valéry n’a-t-il pas dit que, n’ai-je pas lu que, voyons, et puis ce Delacroix, et Paulhan dans son étude sur Fautrier, et puis cela me rappelle les antimodernes de Compagnon, et puis j’ai déjà senti cela, Dieu que ce vers est dense, comme il jette de lueurs malgré lui, et puis entendre Tannhäuser en 1861, entre Meyerbeer et Rossini, quel choc ! et puis où ai-je fichu le bouquin de Benjamin sur les passages parisiens, et puis mon père disait toujours, et mais où a-t-il trouvé cela ce Calasso, comment a-t-il eu l’idée, mais je ne savais pas, où en étais-je, ah oui la Présidente, « Vous êtes ma superstition », lui a dit Baudelaire, être la superstition de quelqu’un, quelle damnation, cette Présidente, tiens pourquoi pense-t-on toujours qu’une présidente c’est une vieille, déjà on se laissait prendre dans les Liaisons dangereuses, cette présidente, cela ne serait celle de la lettre obscène de Théophile Gautier ? si, sans doute, on verra, continuons, et ainsi de suite…"


lundi 16 octobre 2023

Céline (Afrique)

Céline, Voyage au bout de le nuit ("ancien" Pléiade p. 152) : 

"Autour de sa case, arrivés dès le matin, se pressaient les plaignants, masse disparate, colorée de pagnes et bigarrée de piaillants témoins. Justiciables et simple public debout, mêlés dans le même cercle, tous sentant fortement l’ail, le santal, le beurre tourné, la sueur safranée. Tels les miliciens d’Alcide, tous ces êtres semblaient tenir avant tout à s’agiter frénétiquement dans le fictif ; ils fracassaient autour d’eux un idiome de castagnettes en brandissant au-dessus de leurs têtes des mains crispées dans un vent d’arguments."


dimanche 15 octobre 2023

Soljénitsyne (confort)

Soljénitsyne, Le Déclin du Courage (Discours de Harvard) 1978 :

"Chacun se voit assurer l’indépendance par rapport à de nombreuses formes de pression étatique, la majorité dispose d’un confort dont nos pères et nos grands-pères n’avaient aucune idée, on peut désormais élever la jeunesse dans l’esprit des nouveaux idéaux, en l’appelant à l’épanouissement physique et au bonheur, de l’argent, des loisirs, en l’habituant à une liberté de jouissance presque sans limites – alors dites-moi au nom de quoi, dites-moi dans quel but certains devraient s’arracher à tout cela et risquer leur précieuse vie pour la défense du bien commun, surtout dans le cas brumeux où c’est encore dans un pays éloigné qu’il faut aller combattre pour la sécurité de son peuple ?"