samedi 15 février 2025

Caldwell (demande en mariage 2/2)

Caldwell, Le petit Arpent du Bon Dieu, chap 1 trad. Coindreau : 

[suite]

— T’en fais pas, Pluto, dit Ty Ty. Y fais pas attention. T’inquiète pas. Elle est peut-être un peu inconsidérée, mais elle n’y voit pas de mal. Elle est comme ça, voilà tout. Ça n’lui fait pas de mal, pas un mal que tu pourrais voir en tout cas. M’est avis qu’il y a bien des femmes comme elle, plus ou moins, selon leur nature. Darling Jill aime un peu aguicher les hommes, mais elle n’y voit pas de mal. Une jolie fille comme Darling Jill, elle peut s’offrir tout ce qu’elle veut, et elle le sait bien. Ça sera à toi de la satisfaire, Pluto, et d’lui donner tant de plaisir qu’elle n’aura plus d’yeux que pour toi. Si elle s’est conduite comme ça, c’est simplement parce qu’elle devenait grandette, et qu’il n’y a eu personne d’assez mâle pour la calmer. Mais toi, t’es bien assez mâle pour la satisfaire. J’peux voir ça dans tes yeux, Pluto. Ne te tracasse donc plus de ça, va.

— C’est dommage que quand Dieu fait une femme comme Darling Jill, Il ne sait jamais s’arrêter à temps. Il va toujours trop loin. C’est ce qui est arrivé à Darling Jill. Il ne s’est pas rendu compte quand il était temps d’arrêter les bonnes choses. Il a continué et continué,… et puis, voilà le résultat ! De la façon qu’elle aime les aguicheries et le reste, j’me demande si j’aurai jamais une nuit tranquille après que nous serons mariés.

— Oui, c’est peut-être ben de la faute au Bon Dieu s’il n’a pas su quand il était temps de s’arrêter, Pluto, mais ça n’empêche pas que Darling Jill n’est pas la première fille qu’Il a faite comme ça. Dans mon temps, j’en ai connu des tas comme elle. Et je pourrais bien t’en citer sans aller bien loin. Tiens prends la femme de Buck, par exemple Pluto. J’avoue que j’sais pas quoi penser d’une jolie fille comme Griselda."


“Never mind, Pluto,” Ty Ty said. “Don’t pay no heed to it. Don’t give it no attention. She is careless, to be sure, but she don’t mean no harm. She’s just made that way. It don’t hurt her none, not so that you will notice it, anyway. I reckon a lot of women are like that, a little or more, according to their natures. Darling Jill likes to tease a man some, but she don’t mean no real harm. A pretty girl like Darling Jill has got everything coming her way, anyhow, and she knows it. It’s up to you to satisfy her, Pluto, and make her so pleased she’ll leave off with everybody but you. She’s just been acting that way because she’s come along now and there’s been nobody man enough to hold her down. You’re man enough to keep her satisfied. I can see that in your eyes, Pluto. Don’t let that bother you no more. »

« It’s a pity God can’t make a woman like Darling Jill and then leave off before He goes too far. That’s what He did to her. He didn’t know when He had made enough of a good thing. He just kept on and on—and now look at her ! She’s so full of teasing and the rest that I don’t know that I’d ever have a peaceful night’s rest when we get married.”

“Well, it might be God’s fault that He didn’t know when to stop, Pluto, but just the same Darling Jill ain’t the only girl He has made like that. In my time I’ve run across a heap like her. And I wouldn’t have to go a thousand miles from home to cite you one. Now, you take Buck’s wife, there. Pluto, I declare I don’t know what to make of so pretty a girl as Griselda.”


vendredi 14 février 2025

Caldwell (demande en mariage 1/2)

Caldwell, Le petit Arpent du Bon Dieu, chap 1 trad. Coindreau : 

"— Et puis, il y a encore autre chose, dit Pluto en détournant la tête pour ne plus voir Ty Ty.

— Qu’est-ce que c’est ?

— J’aime point en parler.

— Allons, dis-le, Pluto. Après que ça sera dit, t’en seras débarrassé.

— J’ai entendu dire que, des fois, elle ne réfléchit pas toujours à ce qu’elle fait.

— Par exemple ?

— Eh ben, j’ai entendu dire qu’elle aime à aguicher les hommes et qu’elle a rigolé avec des tas.

— Comment, on dit des choses sur ma fille, Pluto ?

— Dame, sur Darling Jill.

— Et qu’est-ce qu’on raconte, Pluto ?

— Pas grand-chose, sauf qu’elle aime à aguicher les hommes et qu’elle a rigolé avec des tas.

— J’suis bien content d’apprendre ça. Darling Jill est le bébé de la famille et ça prouve qu’elle s’est enfin dégourdie. Sûr que j’suis content de savoir ça.

— Faudrait qu’elle cesse, parce que je voudrais l’épouser.


[à suivre…]


“And there was something else,” Pluto said, turning his face away from Ty Ty.

“What is that ?”

“I don’t like to bring it up.”

 Just go ahead and say it, Pluto, and after you’ve said it, it’ll be done and can’t be coming back to bother you.”

“I heard that she ain’t so particular about what she does sometimes.”

“Just like what, for example ?”

“Well, I heard that she’s been teasing and fooling with a lot of men.”

“Has things been said about my daughter, Pluto ?”

“Well, about Darling Jill.”

“What do people say, Pluto ?”

“Nothing much, except that she’s been teasing and fooling with a lot of men.”

“I’m tickled to death to hear that. Darling Jill is the baby of the family, and she’s coming along at last. I sure am glad to hear that.”

“She ought to quit it, because I want to marry her.”


jeudi 13 février 2025

Faulkner (crise)

Faulkner, Le Bruit et la fureur, 7 avril 1928 trad. Coindreau : 

"Elles sont arrivées. J’ai ouvert la grille et elles se sont arrêtées, la tête tournée. J’essayais de leur dire, et je l’ai saisie, j’essayais de dire, et elle a hurlé, et j’essayais de dire, j’essayais, et les formes lumineuses ont commencé à s’arrêter, et j’ai essayé de sortir. J’essayais d’en débarrasser mon visage, mais les formes lumineuses étaient reparties. Elles grimpaient la colline où tout a disparu, et j’ai essayé de crier. Mais, après avoir aspiré, je n’ai plus pu expirer pour crier et j’ai essayé de m’empêcher de tomber du haut de la colline, et je suis tombé du haut de la colline parmi les formes lumineuses et tourbillonnantes."


They came on. I opened the gate and they stopped, turning. I was trying to say, and I caught her, trying to say, and she screamed and I was trying to say and trying arid the bright shapes began to stop and I tried to get out. I tried to get it off of my face, but the bright shapes were going again. They were going up the hill to where it fell away and I tried to cry. But when I breathed in, I couldn't breathe out again to cry, and I tried to keep from falling off the hill and I fell off the hill into the bright, whirling shapes.



mercredi 12 février 2025

Pérez-Reverte (tuer)

Pérez-Reverte, Le Soleil de Breda, cité par le général Fr. Lecointre in Entre guerres, exergue du chap "Combat" : 

"Celui qui tue de loin ignore tout de ce que signifie tuer. Celui qui tue de loin ne tire aucune leçon sur la vie ni la mort. Il ne risque rien, il ne se salit pas les mains, il n’entend pas la respiration de son adversaire, il ne voit pas l’épouvante, le courage ou l’indifférence dans ses yeux. Celui qui tue de loin ne met pas à l’épreuve son bras, son cœur ni sa conscience. Il ne crée pas de fantômes qui reviennent ensuite le tourmenter toutes les nuits pour le restant de ses jours."


mardi 11 février 2025

Volkovitch (bicyclette, vélo)

Volkovitch (Michel), sur son blog : 

http://volkovitch.com/rub_langue.asp?a=pe222

"BICYCLETTE ou VÉLO ? C'est la même machine, mais pas vue du même œil. Pour les distinguer, la grammaire et l'étymologie jouent un rôle certain : elle est féminine et lui masculin ; elle, c'est deux roues à l'arrêt, lui un engin véloce, qu'on suppose plus sportif. Mais les sonorités soulignent activement cette différence : tandis que mademoiselle patine un peu au départ sur sa voyelle répétée, est ralentie par un petit nœud de consonnes, [kl], et ne se dépêche pas de finir, le jeune homme, filant sur son [v] plein de vent et son [l] coulant, arrive au but le premier en deux syllabes — sa brièveté encore accentuée du fait que le mot (VÉLOCIPÈDE au départ, bonhomme vilain et lourd) a été tranché, allégé, ce qui lui donne une allure de locomotive joyeuse délivrée de ses wagons. BICYCLETTE et VÉLO sont donc tous deux joliment expressifs : elle mignonne avec son gentil cliquetis, ses voyelles lumineuses et sa terminaison guillerette ; lui vif, mince, familier, doté en plus par le [o] final d'un petit air populo, faraud, rigolo. Quel beau petit couple !"


lundi 10 février 2025

Pascal (synthèse)

Pascal, Entretien avec M. de Saci [sur Épictète et Montaigne] Pléiade p. 572 : 

"C'est donc de ces lumières imparfaites qu'il arrive que l'un, connaissant le devoir de l'homme et ignorant son impuissance, se perd dans la présomption, et que l'autre, connaissant l'impuissance et non le devoir, il s'abat dans la lâcheté ; d'où il semble, puisque l'un est la vérité où l'autre est l'erreur, que l'on formerait en les alliant une morale parfaite. Mais, au lieu de cette paix, il ne résulterait de leur assemblage qu'une guerre et qu'une destruction générale : car l'un établissant la certitude, l'autre le doute, l'un la grandeur de l'homme, l'autre sa faiblesse, ils ruinent la vérité aussi bien que la fausseté l'un de l'autre. De sorte qu'ils ne peuvent subsister seuls à cause de leurs défauts, ni s'unir à cause de leurs oppositions, et qu'ainsi ils se brisent et s'anéantissent pour faire place à la vérité de l'Evangile. C'est elle qui accorde les contrariétés par un art tout divin, et, unissant tout ce qui est de vrai et chassant tout ce qui est de faux, elle en fait une sagesse véritablement céleste où s'accordent ces opposés, qui étaient incompatibles dans ces doctrines humaines. Et la raison en est que ces sages du monde placent les contraires dans un même sujet ; car l'un attribuait la grandeur à la nature et l'autre la faiblesse à cette même nature, ce qui ne pouvait subsister ; au lieu que la foi nous apprend à les mettre en des sujets différents : tout ce qu'il y a d'infirme appartenant à la nature, tout ce qu'il y a de puissant appartenant à la grâce. Voilà l'union étonnante et nouvelle que Dieu seul pouvait enseigner, et que lui seul pouvait faire, et qui n'est qu'une image et qu'un effet de l'union ineffable de deux natures dans la seule personne d'un Homme-Dieu."










dimanche 9 février 2025

Pascal + anonyme (maladies)

Anonyme médiéval cité par Starobinski, in Le corps et ses raisons, § 'Médecine et antimédecine' : 

"Si l'homme savait combien la maladie lui serait utile, il voudrait ne jamais vivre sans maladie. Pourquoi ? Parce que l'infirmité du corps est la santé de l'âme... Comment ? Par la maladie du corps, la sensualité est atteinte, la vanité détruite, la curiosité chassée, le monde et la vaine gloire réduits à rien, l'orgueil vidé, l'envie écartée, la luxure bannie... Faisant haïr le monde, elle dispose à l'amour de Dieu."


Pascal, Prière pour demander à dieu le bon usage des maladies II :

"Vous m’aviez donné la santé pour vous servir, et j’en ai fait un usage tout profane. Vous m’envoyez maintenant la maladie pour me corriger : ne permettez pas que j’en use pour vous irriter par mon impatience. J’ai mal usé de ma santé, et vous m’en avez justement puni : ne souffrez pas que j’use mal de cette punition. Et, puisque la corruption de ma nature est telle qu’elle me rend vos faveurs pernicieuses, faites, ô mon Dieu ! que votre grâce toute-puissante me rende vos châtiments salutaires. Si j’ai eu le cœur plein de l’affection du monde pendant qu’il a eu quelque vigueur, anéantissez cette vigueur pour mon salut ; et rendez-moi incapable de jouir du monde, soit par faiblesse de corps, soit par zèle de charité, pour ne jouir que de vous seul."