Carroll (Steven), De l'Art de conduire sa machine § 26, traduction Gerval :
" Il marche penché en avant comme s'il lui fallait lutter contre d'invisibles bourrasques. Vic est né à la fin de la Première Guerre, il a grandi pendant la Grande Dépression, et sa démarche, d'une certaine façon, est exemplaire de sa génération. Il a les mains dans les poches, la tête basse, ses épaules sont voûtées. Une démarche d'hiver, alors qu'on est en plein été. Une démarche, surtout, qui va de l'avant, dans l'oubli des autres directions. Qui proclame qu'il ne vaut pas la peine de retourner à ce qu'on a laissé derrière soi, et que tout ce qui reste à la périphérie ne peut qu'être source d'inutile distraction. Mais ce n'est pas pour autant une démarche qui embrasse l'avenir. On dirait plutôt que Vic est poussé en avant malgré lui, comme s'il n'y avait rien d'autre à faire, aucun autre chemin à prendre, comme s'il reconnaissait implicitement, dans sa lassitude défiante, qu'un pas de côté risquait de marquer le retour de la misère et du désastre. C'est une démarche que l'on apprend dans les temps difficiles, et qu'une fois apprise on n'oublie jamais."
« [He] has drifted on a few paces ahead, leaning forward as he walks, as if leaning into a strong wind. It is a walk that almost defines a generation in itself, for Vic was born at the end of the first war and grew up during the Depression. His hands as he strides up the street to the Englishman’s house are in his pockets, his shoulders are hunched, and his head is lowered. It is a winter walk in summer. Above all, it is a walk that only knows one direction, and that is forward. A walk which assumes that everything left behind is not worth going back to, and everything to the side, anywhere within the range of peripheral vision, is a potential distraction. But it is not a walk that embraces the future. Rather, it is one that reluctantly presses forward, as if there is nothing else to be done, no other way, a walk that always acknowledges in its hunched wariness, the distinct possibility that any one step might mark the return of disaster and misery. One learns to walk like that in difficult times, and once the walk is learnt it is never forgotten. »