vendredi 2 octobre 2020

Houellebecq (hôpital)

 Houellebecq, Extension du domaine de la lutte :

"On s'habitue vite à l'hôpital. Pendant toute une semaine j'ai été assez sérieusement atteint, je n'avais aucune envie de bouger ni de parler ; mais je voyais les gens autour de moi qui bavardaient, qui se racontaient leurs maladies avec cet intérêt fébrile, cette délectation qui paraît toujours un peu indécente à ceux qui sont en bonne santé ; je voyais aussi leurs familles, en visite. Eh bien dans l'ensemble personne ne se plaignait ; tous avaient l'air très satisfaits de leur sort, malgré le mode de vie peu naturel qui leur était imposé, malgré, aussi, le danger qui pesait sur eux ; car dans un service de cardiologie la plupart des patients risquent leur peau, au bout du compte.

Je me souviens de cet ouvrier de cinquante-cinq ans, il en était à son sixième séjour : il saluait tout le monde, le médecin, les infirmières... Visiblement, il était ravi d'être là. Pourtant voilà un homme qui dans le privé avait une vie très active : il bricolait, faisait son jardin, etc. J'ai vu sa femme, elle avait l'air très gentille ; ils en étaient même touchants, de s'aimer comme ça, à cinquante ans passés. Mais dès qu'il arrivait à l'hôpital il abdiquait toute volonté ; il déposait son corps, ravi, entre les mains de la science. Du moment que tout était organisé. Un jour ou l'autre il allait y rester dans cet hôpital, c'était évident ; mais cela aussi était organisé. Je le revois s'adressant au médecin avec une espèce d'impatience gourmande, employant au passage des abréviations familières que je n'ai pas comprises : "Alors, on va me faire ma pneumo et ma cata veineuse ?" Ça, il y tenait, à sa cata veineuse ; il en parlait tous les jours."