mercredi 30 septembre 2020

Zola (crise cardiaque)

 Zola, Le Docteur Pascal :

« La journée fut longue. Et, cette nuit-là, vers quatre heures, comme Pascal venait enfin de s’endormir, après une insomnie heureuse d’espoirs et de rêves, il fut réveillé brutalement par une crise effroyable. Il lui sembla qu’un poids énorme, toute la maison, s’était écroulé sur sa poitrine, à ce point que le thorax, aplati, touchait le dos ; et il ne respirait plus, la douleur gagnait les épaules, le cou, paralysait le bras gauche. D’ailleurs, sa connaissance restait entière, il avait la sensation que son cœur s’arrêtait, que sa vie était sur le point de s’éteindre, dans cet affreux écrasement d’étau qui l’étouffait. Avant que la crise fût à sa période aiguë, il avait eu la force de se lever, de taper au plancher avec une canne, pour faire monter Martine. Puis, il était retombé sur son lit, ne pouvant plus ni bouger ni parler, trempé d’une sueur froide. […]

Il ne put mentir. C’était une crise, et terrible. La suffocation vint en coup de foudre, le renversa sur l’oreiller, le visage déjà bleu. Des deux mains, il avait saisi le drap à poignée, il s’y cramponnait, comme pour trouver un point d’appui et soulever l’effroyable masse qui lui écrasait la poitrine. Atterré, livide, il tenait ses yeux grands ouverts, fixés sur la pendule, avec une effrayante expression de désespoir et de douleur. Et, pendant dix longues minutes, il faillit expirer.

Tout de suite, Ramond l’avait piqué. Le soulagement fut lent à se produire, l’efficacité était moindre. […]

(il) fut repris de sa passion de savant, voulant donner à son jeune confrère une dernière leçon, basée sur l’observation directe. Il avait soigné plusieurs cas pareils au sien, il se souvenait surtout d’avoir disséqué, à l’hôpital, le cœur d’un vieux, pauvre atteint de sclérose.

– Je le vois, mon cœur... Il est couleur de feuille morte, les fibres en sont cassantes, on le dirait amaigri, bien qu’il ait augmenté un peu de volume. Le travail inflammatoire a dû le durcir, on le couperait difficilement...

Il continua à voix plus basse. Tout à l’heure, il avait bien senti son cœur qui mollissait, dont les contractions devenaient molles et lentes. Au lieu du jet de sang normal, il ne sortait plus par l’aorte qu’une bave rouge. Derrière, les veines étaient gorgées de sang noir, l’étouffement augmentait, à mesure que se ralentissait la pompe aspirante et foulante, régulatrice de toute la machine. Et, après la piqûre, il avait suivi, malgré sa souffrance, le réveil progressif de l’organe, le coup de fouet qui l’avait remis en marche, déblayant le sang noir des veines, soufflant de nouveau la force avec le sang rouge des artères. Mais la crise allait revenir, dès que l’effet mécanique de la piqûre aurait cessé. Il pouvait la prédire à quelques minutes près. Grâce aux injections, il y aurait encore trois crises. La troisième l’emporterait, il mourrait à quatre heures.

À quatre heures moins dix, une nouvelle piqûre resta sans effet. Et quatre heures allaient sonner, lorsque la deuxième crise se déclara. Brusquement, après avoir étouffé, il se jeta hors de son lit, il voulut se lever, marcher, dans un réveil de ses forces. Un besoin d’espace, de clarté, de grand air, le poussait en avant, là-bas. Puis, c’était un appel irrésistible de la vie, de toute sa vie, qu’il entendait venir à lui, du fond de la salle voisine. Et il y courait, chancelant, suffoquant, courbé à gauche, se rattrapant aux meubles.

[…] La troisième crise eut lieu à quatre heures un quart. Dans cet accès final de suffocation, le visage de Pascal exprima une effroyable souffrance. Jusqu’au bout, il devait endurer son martyre d’homme et de savant. Ses yeux troubles semblèrent chercher encore la pendule, pour constater l’heure. Et Ramond, le voyant remuer les lèvres, se pencha, colla son oreille. En effet, il murmurait des paroles, si légères, qu’elles étaient un souffle.

– Quatre heures... Le cœur s’endort, plus de sang rouge dans l’aorte... La valvule mollit et s’arrête...

Un râle affreux le secoua, le petit souffle devenait très lointain.

Pascal mourut. Sa face était toute bleue. Après quelques secondes d’une immobilité complète, il voulut respirer, il avança les lèvres, ouvrit sa pauvre bouche, un bec de petit oiseau qui cherche à prendre une dernière gorgée d’air. Et ce fut la mort, très simple. »


rappel : 

https://lelectionnaire.blogspot.com/2020/06/celine-crise-cardiaque.html