samedi 3 avril 2021

Hogarth (Shrimp Girl)

Aujourd'hui, pas un texte, mais un tableau : The Shrimp girl (La marchande de crevettes, La fille aux crevettes) de Hogarth, le tableau préféré de René Fallet. On le comprend. 




(à regarder en plein écran sur Wikipédia)

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:William_Hogarth_-_The_Shrimp_Girl_-_WGA11467.jpg



vendredi 2 avril 2021

Gracq (Wagner)

Gracq, Lettrines Pléiade t. 2 p. 224-225  : 

"Presque toutes nos objections à Wagner s’appellent non Wagner mais Bayreuth. Ce n’est pas Wagner qui s’est démodé, c’est Bayreuth. C’est cette part de lui qui a construit Bayreuth, et, l’ayant construit, s’est préoccupé vraiment outre mesure d’y recevoir, d’en faire les honneurs.

Wagner en art est un prophète qui s’est voulu un ordonnateur du culte. Il est le premier artiste génial à oser nous dire : ce n’est pas tout d’admirer, voici où et comment il faut que vous m’admiriez, et voici le sens de votre admiration et la mesure de la grâce obtenue : voici comment j’intercède pour vous. On entre à Bayreuth ; sur votre main se referme une poigne rude : « Suivez-moi les yeux fermés – prenez ici de l’eau bénite – maintenant on baisse la tête : c’est l’élévation. » Wagner a resserré à ses extrêmes limites la liberté de l’auditeur devant son œuvre. Personne peut-être n’a jamais souhaité aussi monstrueusement posséder son public. Son art liturgique est surchargé de prescriptions, d’appels du pied, de mises en garde (le leitmotiv : clin d’œil dur du magister qui rappelle à l’ordre un auditeur distrait) de passes magnétiques et trop sûres. Sans doute suivait-il sa pente. C’était un génie terriblement didactique. Wagner veut toujours former, discipliner, révéler, contraindre, éduquer, élever. Il y avait en lui un Kapellmeister qui n’a jamais voulu céder le pas au musicien."


 

jeudi 1 avril 2021

Gardin (rigolettes)

 Gardin (Blanche), Il faut que je vous parle (2016) :

"Depuis qu’on a compris que Daesh n’était pas une marque de lessive, c’est un peu tendu. En fait, pour qu’il y ait moins de problèmes, on pourrait peut-être continuer de rigoler, mais discrètement, chacun dans son coin. On pourrait avoir comme des toilettes, mais pour aller rigoler. Des rigolettes.

On se précipiterait dans les bars :

"Monsieur, s’il vous plaît, je pourrais utiliser vos rigolettes ?

- Nan ! Les rigolettes, c’est pour les consommateurs.

- Ah bon ? Mais c’est dégueulasse ! Bon… bah, j’ai plus envie du coup. Merci. Bonne journée ! "


mercredi 31 mars 2021

Ronsard (inspiration)

 Ronsard, à Michel de l'Hospital, Ode X :

Strophe 13

[...]

Antistrophe

A fin (o Destins) qu'il n'avienne 

Que le monde appris faussement, 

Pense que vostre mestier vienne 

D'art, et non de ravissement : 

Cest art penible et miserable 

S'eslongnera de toutes parts

De vostre mestier honorable 

Desmembre en diverses parts, 

En Prophetie, en Poesies,

En mysteres et en amour,                           

Quatre fureurs qui tour-à-tour

Chatouilleront vos fantasies.


Epode

Le traict qui fuit de ma main, 

Si tost par l’air ne chemine,

Comme la fureur divine

Vole dans un caeur humain, 

Pourveu qu'il soit prépare, 

Pur de vice, et repare

De la vertu precieuse.

Jamais les Dieux qui sont bons           

Ne respandent leurs saints dons

Dans une ame vicieuse.


Strophe 14

Lors que la mienne ravissante

Vous viendra troubler vivement,

D’une poitrine obeissante

Tremblez dessous son mouvement:

Et souffrez qu’elle vous secoue

Le corps et l’esprit agité,

A fin que Dame elle se joue

Au temple de sa Deité .                     

Elle de toutes vertus pleine,

Des mes secrets vous remplira,

Et en vous les accomplira

Sans art, sans sueur ne sans peine.


Antistrophe

Mais par-sur tout prenez bien garde, 

Gardez-vous bien de n'employer

Mes presens dans un coeur qui garde 

Son peche, sans le nettoyer :

Ains devant que de luy respandre,

Purgez-le de vostre douce eau,                   

A fin que bien net puisse prendre

Un beau don dans un beau vaisseau :

Et luy purgé, à I'heure à l'heure 

Tout ravi d'esprit chantera

Un vers en fureur qui fera

Au coeur des hommes sa demeure. [...]


Ceux que je veux faire poètes

Par la grâce de ma bonté,

seront nommés les interprètes

des Dieux de leur volonté.


mardi 30 mars 2021

Valéry (peinture)

 Valéry, Choses tues Pléiade t. 2 p. 476-477 : 

"Jugements.

Une Exposition de peinture. Un tableau et deux hommes devant lui.

L'un, à demi-penché sur la barre, parle, explique, éclate. L'autre est muet. On devine à sa courtoisie qu'il est absent. Il tend l'oreille et refuse l'esprit. Il est au Bois, à la Bourse, ou chez une dame ; mais il est impossible d'être plus loin avec plus de formes et de présence sensible.

Une manière d'artiste, à deux pas derrière eux, me regarde ; son œil m'adresse tout le mépris de ces explications sonores qui s'entendent d'assez loin.

Et moi, comme je suis au premier plan de cette petite scène, que je vois à la fois le tableau, les amis, le peintre dans leur dos ; que j'entends le parleur ; que je lis le regard du témoin qui le juge, je crois que je contiens les uns et les autres, je m'attribue une conscience d'ordre supérieur, une juridiction suprême ; je bénis et condamne tout le monde : Misereor super turbam... 

Mais bientôt une réflexion me fait fuir cette situation divine d'où je contemplais des étages de jugements relatifs. Je sens trop que le hasard m'y avait placé. Je ne sais enfin que penser... Rien ne rend plus pensif."


lundi 29 mars 2021

Apollinaire (poésie)

 Apollinaire, Lettres à Lou, 18 janvier 1915, Gallimard coll. Soleil, , p. 120-121 : 

« Le métier de poète n'est pas inutile, ni fou, ni frivole. Les poètes sont les créateurs (poète vient du grec et signifie en effet créateur et poésie signifie création) - Rien ne vient donc sur terre, n'apparaît aux yeux des hommes s'il n'a d'abord été imaginé par un poète. L'amour même, c'est la poésie naturelle de la vie, l'instinct naturel qui nous pousse à créer de la vie, à reproduire [...]. Je sais que ceux qui se livrent au travail de la poésie font quelque chose d'essentiel, de primordial, de nécessaire avant toute chose, quelque chose enfin de divin. Je ne parle pas bien entendu des simples versificateurs. Je parle de ceux qui, péniblement, amoureusement, génialement, peu à peu peuvent exprimer une chose nouvelle et meurent dans l'amour qui les inspirait. »


dimanche 28 mars 2021

Jünger (retour)

 Jünger, Graffiti, trad. H. Plard, 10 x 18 p. 40-41 : 

"Le retour [...] atteste dans le temps la présence de l'intemporel, et d'une immobilité dans le mouvement. [...] Le retour suscite la confiance, confirme une alliance avec le monde, en profondeur. Ce n'est pas seulement dans les fêtes que cela se fait connaître. Si nous entrons deux ou trois fois dans une boutique, dans un restaurant, nous nous apercevrons que le commerçant, que le patron nous salue d'un sourire. Il y a plus, dans ce sourire, que la joie du bénéfice dont il nous est redevable. Si nous lui gardons notre clientèle, des années durant, l'aspect économique ne disparaîtra pas pour autant de nos rapports, mais s'inscrira dans le cadre d'une sympathie plus générale. Nous devenons ses conviés, et lui notre hôte. Les manquements à ces règles nous sont particulièrement douloureux ; ils blessent des couches plus profondes que notre avantage et notre droit. Un petit fonctionnaire fait ses achats, pendant des années et des décennies, chez son même boulanger, qu'il paye à la fin du mois. Voici qu'il est nommé dans un pays lointain et qu'il néglige de régler sa dernière facture, qu'il disparaît sans prendre congé. Ce n'est pas cette légère perte qui désole le boulanger. Il a vu mettre en question ce qu'il croyait impliqué par le retour, et derrière lui."