Jünger, Graffiti, trad. H. Plard, 10 x 18 p. 40-41 :
"Le retour [...] atteste dans le temps la présence de l'intemporel, et d'une immobilité dans le mouvement. [...] Le retour suscite la confiance, confirme une alliance avec le monde, en profondeur. Ce n'est pas seulement dans les fêtes que cela se fait connaître. Si nous entrons deux ou trois fois dans une boutique, dans un restaurant, nous nous apercevrons que le commerçant, que le patron nous salue d'un sourire. Il y a plus, dans ce sourire, que la joie du bénéfice dont il nous est redevable. Si nous lui gardons notre clientèle, des années durant, l'aspect économique ne disparaîtra pas pour autant de nos rapports, mais s'inscrira dans le cadre d'une sympathie plus générale. Nous devenons ses conviés, et lui notre hôte. Les manquements à ces règles nous sont particulièrement douloureux ; ils blessent des couches plus profondes que notre avantage et notre droit. Un petit fonctionnaire fait ses achats, pendant des années et des décennies, chez son même boulanger, qu'il paye à la fin du mois. Voici qu'il est nommé dans un pays lointain et qu'il néglige de régler sa dernière facture, qu'il disparaît sans prendre congé. Ce n'est pas cette légère perte qui désole le boulanger. Il a vu mettre en question ce qu'il croyait impliqué par le retour, et derrière lui."