Gracq, Lettrines Pléiade t. 2 p. 224-225 :
"Presque toutes nos objections à Wagner s’appellent non Wagner mais Bayreuth. Ce n’est pas Wagner qui s’est démodé, c’est Bayreuth. C’est cette part de lui qui a construit Bayreuth, et, l’ayant construit, s’est préoccupé vraiment outre mesure d’y recevoir, d’en faire les honneurs.
Wagner en art est un prophète qui s’est voulu un ordonnateur du culte. Il est le premier artiste génial à oser nous dire : ce n’est pas tout d’admirer, voici où et comment il faut que vous m’admiriez, et voici le sens de votre admiration et la mesure de la grâce obtenue : voici comment j’intercède pour vous. On entre à Bayreuth ; sur votre main se referme une poigne rude : « Suivez-moi les yeux fermés – prenez ici de l’eau bénite – maintenant on baisse la tête : c’est l’élévation. » Wagner a resserré à ses extrêmes limites la liberté de l’auditeur devant son œuvre. Personne peut-être n’a jamais souhaité aussi monstrueusement posséder son public. Son art liturgique est surchargé de prescriptions, d’appels du pied, de mises en garde (le leitmotiv : clin d’œil dur du magister qui rappelle à l’ordre un auditeur distrait) de passes magnétiques et trop sûres. Sans doute suivait-il sa pente. C’était un génie terriblement didactique. Wagner veut toujours former, discipliner, révéler, contraindre, éduquer, élever. Il y avait en lui un Kapellmeister qui n’a jamais voulu céder le pas au musicien."