Valéry, Choses tues Pléiade t. 2 p. 476-477 :
"Jugements.
Une Exposition de peinture. Un tableau et deux hommes devant lui.
L'un, à demi-penché sur la barre, parle, explique, éclate. L'autre est muet. On devine à sa courtoisie qu'il est absent. Il tend l'oreille et refuse l'esprit. Il est au Bois, à la Bourse, ou chez une dame ; mais il est impossible d'être plus loin avec plus de formes et de présence sensible.
Une manière d'artiste, à deux pas derrière eux, me regarde ; son œil m'adresse tout le mépris de ces explications sonores qui s'entendent d'assez loin.
Et moi, comme je suis au premier plan de cette petite scène, que je vois à la fois le tableau, les amis, le peintre dans leur dos ; que j'entends le parleur ; que je lis le regard du témoin qui le juge, je crois que je contiens les uns et les autres, je m'attribue une conscience d'ordre supérieur, une juridiction suprême ; je bénis et condamne tout le monde : Misereor super turbam...
Mais bientôt une réflexion me fait fuir cette situation divine d'où je contemplais des étages de jugements relatifs. Je sens trop que le hasard m'y avait placé. Je ne sais enfin que penser... Rien ne rend plus pensif."