Milcent-Lawson (Sophie), Mises en scène syntaxiques et art de la surprise dans la phrase gionienne, in Bourkhis R. et Benjelloun M. (dir.), La Phrase littéraire, Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant, coll. « Au cœur des textes », 2008, p. 195- 210.
« Et parfois, l'étrange grondement d'un pelage qui se frotte contre la maison. Le vent. »
Giono, « Revest-du-Bion », Provence, Paris, Gallimard, coll « Folio », 1995, p. 268.
"L’activité perceptive est rendue inventive par la saisie progressive et partielle d’un réel en mouvement qui se donne à élucider. Entre le sentir et le connaître, une brèche est ouverte, un espace de liberté laissé disponible pour l’imagination. Cette technique rend compte des hésitations de l’expérience immédiate et des erreurs du sujet percevant. L’énoncé scinde en deux moments distincts l’activité de perception : la sensation, avec ce qu’elle comporte d’approximatif, et l’interprétation raisonnée de la sensation. [...]
Le point commun à toutes ces séquences est qu’elles retardent l’identification exacte du thème : de quoi parle-t-on au juste ? [...] La stratégie syntaxico-logique consiste en une manipulation du parcours interprétatif. Le plaisir naît de cet art de la fausse piste, qui met en scène la surprise.
[...] Le temps romanesque est un temps successif où doit régner l’imprévisible. On perçoit dès lors les vertus narratives de ces agencements sémantico-syntaxiques où le sens trébuche dans de fausses pistes qui engendrent, au coeur du texte romanesque, une temporalité narrative rythmée par une multitude de micro-suspenses. La syntaxe se met au service du narratif par une présentation de l'information qui la transforme à la fois en événement textuel et en surprise. La mise en scène syntaxique du rebond répond ainsi à la nécessité romanesque du rebondissement. Il s’agit bien, comme s’y exhorte Giono dans son journal, de surprendre le lecteur là où il ne l’attend pas. [...]"