Hrabal, Bambini di Praga § 7, in Les Palabreurs traduction M. Canavaggio :
« Sans regarder une seule de ses fresques, il se met à expliquer :
Ceci, messieurs, est une variation sur les précieuses mains humaines, nos précieuses pognes ! Ici, c’est un gars qui va en train voir sa fiancée et qui lui apporte un bouquet de roses. Ici, vous le voyez debout, d’une main il se tient à la rampe du wagon, dans l’autre il serre son bouquet. Puis ici il saute du train, mais comme vous le voyez sa jambe dérape et le garçon tombe sous les roues. Ici, si vous voulez bien regarder, la roue lui a écrasé la main dans laquelle il tient son bouquet. Et sa fiancée, comme vous le voyez à l’arrière-plan, lève les mains ! Et là, la main écrasée a roulé entre les rails. Ici vous voyez le garçon ramasser de la main qui lui reste l’autre main qui continue à tenir le bouquet Mais comme le train continue à rouler, une autre roue lui écrase la main qui tenait celle qui tenait le bouquet… Et là vous voyez le garçon sans mains qui s’est assis sur le marchepied, mais comme le train s’arrête, le marchepied lui fracasse la tête et il tombe… Voilà quinze tableaux de ce que j’ai vu dans une gare, quinze variations sur les précieuses mains humaines… »
[...]
« Prenez la peine de regarder le buffet, ce sont des variations sur le malheur, des variations poussées à fond ! lance-t-il en indiquant le buffet des deux mains, ici, comme vous le voyez, c’est un tsigane qui fait la coulée aux aciéries de Martin. Et là, si vous voulez bien regarder, le tsigane est précipité dans la cuve, dans l’acier bouillonnant, parce qu’il a buté contre une caisse. Ici vous voyez une grue qui soulève la cuve, et au fond il y a le tsigane de peint, là vous voyez comment l’acier se coule en lingots, le tsigane est dans chaque lingot. Et ici j’ai fait aplatir les tsiganes des lingots en billettes… mais dans chaque billette il y a toujours le tsigane entier ! Et là vous voyez les billettes aplaties en tôle, de la tôle inoxydable, mais dans chaque tôle il y a toujours le tsigane entier, et puis avec ces tôles on presse des cuillers, des couteaux, des fourchettes et, comme vous le voyez, dans chaque cuiller, dans chaque couteau, dans chaque fourchette, partout il y a le tsigane peint, celui qui avait été précipité dans la coulée… Et c’est comme ça que le tsigane fondu dans les couverts a fait le tour du monde, il y en avait un petit bout partout, mais moi, je l’ai dessiné entier dans toutes les cuillers, oui, oui… »