samedi 25 juin 2022

Marot (Anne)

Marot, Épigrammes


       D'Anne qui lui jeta de la neige


Anne, par jeu, me jeta de la neige,

Que je cuidais froide certainement;

Mais c'était feu ; l'expérience en ai-je,

Car embrasé je fus soudainement.

Puisque le feu loge secrètement

Dedans la neige, où trouverai-je place

Pour n'ardre point ? Anne, ta seule grâce

Éteindre peut le feu que je sens bien,

Non point par eau, par neige, ni par glace,

Mais par sentir un feu pareil au mien.


rappel : 

Sapho, Chartier, Labé, Racine (amour) :

https://lelectionnaire.blogspot.com/2022/06/sapho-chartier-labe-racine-amour.html



jeudi 23 juin 2022

Céline + Gadda (dentelles volatiles)

Céline, Mort à crédit : 

"Grand-mère Caroline se planquait pendant le travail à l’abri de L’Enfant Prodigue, l’énorme panneau tapisserie. Elle avait l’œil Caroline pour gafer les mains. C’est vicelard comme tout la cliente, plus c’est huppée mieux c’est voleuse. Un petit contrepoint Chantilly c’est un véritable souffle dans un manchon bien entraîné."


Gadda, L'Adalgisa : 

"...des mains qui semblaient savourer au toucher tout ce luxe et ces richesses étalées, les savourer et répudier, les désirer et repousser, vouloir et ne pas vouloir. Toutes ces mains, les grandes, les petites, les sacs à main et les gros sacs, les paquets petits et gros des achats précédents, dans le pandémonium méridien du bazar ! Dans le langage courant, on dit, pour tout cela, on dit : tenir à l’œil. Parmi les belles mains, sont toujours potentiellement présentes celles de l’ange blond chapardeur : et son rusé marsupium."


...mani che paiono assaporare al tatto quei lussi e le sciorinate dovizie, assaporare e ripudiare, desiderare e respingere, volere e nolere. Ma le manine, le manone, le borsette, le borsone, i precedenti pacchi e pacchetti, nel pandemonio meridiano del bazar ! All’uso volgare si dice, con tutto questo, si dice tener d’occhio. Tra belle mani, le mani del biondo angelo sgraffignone, e il suo scaltro marsupio, sono sempre potenzialmente presenti.



mercredi 22 juin 2022

Vauvenargues (création)

Vauvenargues, Introduction à la connaissance de l'Esprit humain  GF p. 75 : 

"De L'invention. 

Les hommes ne sauraient créer le fond des choses ; ils le modifient. Inventer n'est donc pas créer la matière de ses inventions, mais lui donner la forme. Un architecte ne fait pas le marbre qu'il emploie à un édifice, il le dispose ; et l'idée de cette disposition, il l'emprunte encore de différents modèles qu'il fond dans son imagination pour former un nouveau tout. De même un poète ne crée pas les images de sa poésie, il les prend dans le sein de la nature, et les applique à différentes choses pour les figurer aux sens ; et encore le philosophe ; il saisit une vérité souvent ignorée, mais qui existe éternellement, pour joindre à une autre vérité et pour en former un principe. Ainsi se produisent en différents genres les chefs-d'œuvre de la réflexion et de l'imagination. Tous ceux qui ont la vue assez bonne pour lire dans le sein de la nature y découvrent, selon le caractère de leur esprit, ou le fond et l'enchaînement des vérités que les autres hommes effleurent, ou l'heureux rapport des images avec les vérités qu'elles embellissent."


Sartre (apparence)

Sartre, L'Être et le néant, Introduction p. 11-12 : 

"Le dualisme de l'être et du paraître ne saurait plus trouver droit de cité en philosophie. L'apparence renvoie à la série totale des apparences et non à un réel caché qui aurait drainé pour lui tout l'être de l'existant. Et l'apparence de son côté n'est pas une manifestation inconsistante de cet être. Tant qu'on a pu croire aux réalités nouménales, on a présenté l'apparence comme un négatif pur. C'était "ce qui n'est pas l'être" ; elle n'avait d'autre être que celui de l'illusion et de l'erreur. Mais cet être même était emprunté, il était lui-même un faux-semblant et la difficulté la plus grande qu'on pouvait rencontrer, c'était de maintenir assez de cohésion et d'existence à l'apparence pour qu'elle ne se résorbe pas d'elle-même au sein de l'être non-phénoménal. Mais si nous sommes une fois dépris de ce que Nietzsche appelait "l'illusion des arrière-mondes" et si nous ne croyons plus à l'être-de-derrière-l'apparition, celle-ci devient, au contraire, pleine de positivité, son essence est un "paraître" qui ne s'oppose plus à l'être, mais qui en est la mesure, au contraire. Car l'être d'un existant, c'est précisément ce qu'il paraît. Ainsi parvenons-nous à l'idée de phénomène [...]."


mardi 21 juin 2022

Simon (urbanisme)

Simon (Claude), L'Invitation p. 56-57 : 

"La ville, c'est-à-dire non pas une agglomération lentement constituée au cours du temps, par bourgeonnements successifs, à partir d'un carrefour de routes, d'un marché, d'une citadelle, d'un lieu d'échanges ou de prières, avec, au centre, d'étroites ruelles, un bazar, des vestiges de remparts, mais quelque chose comme surgi tout à coup du néant ou d'un passé – caravansérail, mosquée, forteresse ou masures – néantisé à coups de bulldozers pour édifier à la place ce que les architectes diplômés des écoles d'architecture et les urbanistes diplômés des écoles d'urbanisme appellent aujourd'hui une ville, comme il en pousse (en sort des chaînes de fabrication) une à peu près toutes les vingt-quatre heures à la surface de la terre, et celle-là ni plus ni moins laide, ni plus ni moins absurde que Lagos, Mexico, ou dans le département du Val-de-Marne [...], quelque chose de déjà mort avant d'être né, préfabriqué en vitesse, (béton, colonnes, placages de marbre et arbres compris) par quelque machine géante spécialement conçue [...]."


dimanche 19 juin 2022

Bach (Cantagrel)

Cantagrel (Gilles), livret de Bach, 6 suites pour violoncelle, version viole de gambe (Myriam Rignol, 2020 :

"La monodie règne, souveraine, mais sa combinatoire interne induit une harmonie, un tissu contrapuntique suggérés, rarement explicités. Polyphoniste impénitent, Bach envisage ici le violoncelle comme par essence mélodique, mais on le sent tout ouïe à analyser le spectre de ses riches vibrations: arpèges sur les harmoniques, notes pédales, bourdons sur les cordes à vide, dans les volutes de discours admirablement maîtrisés et d'une grande éloquence, puissamment lyriques, tout en étant animés des mètres des danses qui constituent les Suites. Contrairement à ce qui se produit dans les solos pour violon, il ne fait que supposer ici un espace polyphonique dont il marque les repères. Ainsi laisse-t-il l'auditeur reconstituer mentalement l'architecture, en poursuivre les méandres, en prolonger la rêverie. Car c'est bien le libre parcours d'une rêverie poétique qu'offre cet art oratoire, provoquant l'imaginaire de qui le suit."


 

Péguy (soldat)

Péguy, L'Argent p. 141 : 

"Il y a un temporel. Et le temporel est essentiellement militaire. [...] Le soldat mesure la quantité de la terre où on parle une langue, où règnent des mœurs, un esprit, une âme, un culte, une race. Le soldat mesure la quantité de terre où une âme peut respirer. Le soldat mesure la quantité de terre où un peuple ne meurt pas. C'est le soldat qui mesure le préau de la prison temporelle. C'est le soldat qui mesure la quantité de terre où un langage, où une âme fleurit. C'est le soldat qui mesure le berceau temporel. C'est le soldat qui mesure la quantité de terre temporelle, qui est la même que la terre spirituelle et que la terre intellectuelle."