jeudi 26 novembre 2020

Céline + Giono + Tremblay (crépuscules)

 [Céline et Tremblay avaient déjà été mis en ligne le 22 mai 2020] 


Céline, Voyage au bout de la nuit, Pléiade p. 168 :

« Les crépuscules dans cet enfer africain se révélaient fameux. On n’y coupait pas. Tragiques chaque fois comme d’énormes assassinats du soleil. Un immense chiqué. Seulement c’était beaucoup d’admiration pour un seul homme. Le ciel pendant une heure paradait tout giclé d’un bout à l’autre d’écarlate en délire, et puis le vert éclatait au milieu des arbres et montait du sol en traînées tremblantes jusqu’aux premières étoiles. Après ça le gris reprenait tout l’horizon et puis le rouge encore, mais alors fatigué le rouge et pas pour longtemps. Ça se terminait ainsi. Toutes les couleurs retombaient en lambeaux, avachies sur la forêt comme des oripeaux après la centième. Chaque jour sur les six heures exactement que ça se passait. »


Giono, Un Roi sans divertissement : 

« Chaque soir, désormais, les murailles du ciel seront peintes avec ces enduits qui facilitent l’acceptation de la cruauté et délivrent les sacrificateurs de tout remords. L’Ouest, badigeonné de pourpre, saigne sur des rochers qui sont incontestablement bien plus beaux sanglants que ce qu’ils étaient d’ordinaire rose satiné ou du bel azur commun dont les peignaient les soirs d’été, à l’heure où Vénus était douce comme un grain d’orge. Un blême vert, un violet, des taches de soufre et parfois même une poignée de plâtre là où la lumière est la plus intense, cependant que sur les trois autres murailles s’entassent les blocs compacts d’une nuit, non plus lisse et luisante, mais louche et agglomérée en d’inquiétantes constructions : tels sont les sujets de méditation proposés par les fresques du monastère des montagnes. Les arbres font bruire inlassablement dans l’ombre de petites crécelles de bois sec. »


Tremblay, La grosse Femme d’à côté est enceinte chap 11 : 

« Elle avait décidé de venir voir le soleil mourir derrière les arbres du parc. ‘’Chaque chose en son temps. Comme disait si bien ma grand-mère: ’Y a rien qui est assez important pour remplacer le seul show gratis que le bon Dieu nous a donné. Si t'as des problèmes au coucher du soleil, laisse-les tomber pis va te pâmer devant l'orgie de couleurs que ton créateur se paye tou'es soirs, ça console, ça lave, ça purifie’. A l'avait ben raison, la vieille tornon. Le coucher du soleil, c'est comme un coup de couteau qui coupe la journée en deux ! Quand tu regardes ça, t'es pas heureux, t'es pas malheureux, t'es p'tit.  »