mercredi 22 avril 2020

Gontcharov (robe de chambre)


Gontcharov, Oblomov, traduction L. Jurgenson 1, 1 : 
« Comme la tenue d'intérieur d'Oblomov seyait aux traits calmes de son visage et à son corps efféminé ! Il portait une robe de chambre en étoffe de Perse, une vraie robe de chambre orientale, où rien ne rappelait l'Europe, sans glands, sans velours, sans taille, si ample qu'Oblomov aurait pu s'en envelopper deux fois. Selon l'immuable mode asiatique, les manches allaient en s'élargissant, des doigts jusqu'à l'épaule. Bien que cette robe de chambre eût perdu de sa fraîcheur primitive, bien qu'elle eût remplacé par endroits son éclat d'origine par un lustre honorablement acquis, elle n'en gardait pas moins la vivacité de la couleur orientale et la solidité de son tissu.
Aux yeux d'Oblomov cette robe de chambre avait une foule de qualités inappréciables : elle était douce, souple, ne pesait pas sur le corps ; telle une esclave docile, elle se pliait au moindre mouvement.
Chez lui, Oblomov ne portait jamais ni cravate ni gilet ; il aimait être à l'aise, se sentir libre. Ses pantoufles étaient longues, moelleuses et larges. Quand, assis sur son lit, il laissait pendre ses jambes, immanquablement, sans qu'il eût même à regarder, ses pieds s'y glissaient tout seuls.
La position allongée n'était pour Ilia Ilitch ni nécessaire, comme pour un malade ou pour un homme qui veut dormir, ni accidentelle, comme pour une personne fatiguée, ni voluptueuse comme chez le fainéant ; c'était son état normal. » 
+ livre II, chapitre IV : « Que faire maintenant ? Aller de l'avant ou rester sur place ? Cette question oblomovienne était pour lui plus profonde que celle de Hamlet. Aller de l'avant voulait dire secouer sa large robe de chambre non seulement de ses épaules, mais aussi de son âme et de son esprit »