Dostoïevski, Le Sous-sol (1864) [traduction Schloezer] Pléiade 1956, p.705 :
« L’homme nourrit une telle passion pour les systèmes, pour les déductions abstraites, qu’il est prêt à travestir sciemment la vérité, prêt à fermer les yeux et à se boucher les oreilles devant la vérité, rien que pour justifier sa logique.
La science apprendra à l’homme qu’il n’a jamais eu de volonté, ni de caprices, et qu’il n’est, en somme, qu’une touche de piano, une pédale d’orgue ; ce qu’il accomplit, par conséquent, il l’accomplit non selon sa volonté, mais conformément aux lois de la nature. Il suffit donc de découvrir ces lois, et l’homme alors ne pourra plus être tenu responsable de ses actions […] Toutes les actions humaines pourront être évidemment calculées mathématiquement d’après ces lois […].
L’homme, quel qu’il soit, aspire toujours et partout à agir selon sa volonté et non d’après les prescriptions de la raison et de l’intérêt ; or, votre volonté peut et doit même, parfois, s’opposer à vos intérêts. Ma volonté libre, mon arbitraire, mon caprice, si fou qu’il soit, ma fantaisie surexcitée jusqu’à la démence, voilà précisément la chose qu’on écarte, l’intérêt le plus précieux qui ne peut trouver place dans aucune de vos classifications et qui brise en mille pièces tous les systèmes, toutes les théories.
Qu’est-ce qu’un homme dépouillé de désir, de volonté, sinon un écrou, une transmission ! »