jeudi 31 décembre 2020

Morand + Chardonne (Bresson)

 Morand, lettre à Chardonne, 18 mars 1963, Corresp. t. 2 : 

"J’ai été voir la Jeanne d’Arc de Bresson, ce janséniste de l’écran. La fille de Delay est belle, mais elle n’est pas inspirée. On ne sent à aucun moment qu’elle entend des voix ; bref, fuyant les poncifs du professionnel, de l’acteur, Bresson ne fait qu’y substituer les défauts de l’amateur : mauvaise prononciation, voix mal placée, etc... Mais il préfère tout au Conservatoire. Je ne le lui dirai pas, car c’est un auvergnat têtu, qui n’écoute rien. Lui seul entend des voix, celles de son art ; ses beaux yeux bleus, sa figure pure et inspirée, il ne les a pas transmises à sa Jeanne d’Arc. [...] Bresson supprime, dans ses films, le mouvement. Ce qu’il veut, c’est substituer au mouvement extérieur un mouvement intérieur ; encore faut-il que ce dernier existe."   


Écho de Chardonne (20 mars) : 

"[Bresson], je l’ai vu une fois, il y a dix ans ; je lui ai dit alors ce que vous n’avez pas osé lui dire : un grand acteur est d’un naturel parfait ; un amateur (femme surtout) sera un mauvais acteur, tout emprunté ; le naturel, cela s’apprend ; c’est le plus difficile en art. Les plus grands écrivains y parviennent à peine ; il faut toute une vie. Le naturel c’est le fond de l’être ; ce n’est pas la surface."