Céline, Voyage au bout de la nuit :
"Tout notre malheur vient de ce qu’il nous faut demeurer Jean, Pierre ou Gaston coûte que coûte pendant toutes sortes d’années. Ce corps à nous, travesti de molécules agitées et banales, tout le temps se révolte contre cette farce atroce de durer. Elles veulent aller se perdre nos molécules, au plus vite, parmi l’univers ces mignonnes ! Elles souffrent d’être seulement « nous », cocus d’infini. On éclaterait si on avait du courage, on faille seulement d’un jour à l’autre. Notre torture chérie est enfermée là, atomique, dans notre peau même, avec notre orgueil."
Ionesco, Journal en miettes Folio p. 69-70 :
"Ah, si mes molécules pouvaient se séparer les unes des autres de leur plein gré. C'est la cohérence de mes molécules qui est responsable de mon angoisse. Trouver les points de suture, désarticuler, détacher les ligatures comme on dénoue les ficelles. Si j'étais deficelé. Ce serait facile. Comment dénouer ce noeud, comment ne plus vouloir. Ou bien vouloir être, ou bien que je veuille être l'eau que l'on peut mettre dans tous les vases, qu'on peut jeter à tous les vents... ou une vapeur. Ou le vent : ces choses-là ont l'air de moins souffrir que les autres quand elles se désintègrent, elles n'ont pas de noeuds. Moi, je ne suis que noeuds noués. Je ne suis fait que de noeuds qui résistent, qui veulent être des noeuds. Je ne peux pas, je ne veux pas, je ne peux pas, je ne veux pas."