dimanche 29 mars 2020

Eco (lion, Rhino)


Eco, Sémiologie des messages visuels, Communications, 1970 p. 20 :
« […] La représentation iconique instaure de véritables crampes de la perception, et nous sommes portés à voir les choses comme les signes iconiques stéréotypés nous les ont depuis longtemps présentées.
Il y a, dans le livre de Gombrich, de mémorables exemples de cette attitude.
Villard de Honnecourt, architecte et dessinateur du XIIIe siècle, affirme copier un lion d'après nature et le reproduit suivant les conventions héraldiques de l'époque les plus manifestes (sa perception du lion est conditionnée par des codes iconiques en usage ; ses codes de transcription iconique ne lui permettent pas de transcrire autrement la perception ; et il est probablement si habitué à ses propres codes qu'il croit transcrire ses propres perceptions de la manière la plus convenable).
(Wikisource)

Dürer représente un rhinocéros couvert d'écailles et de plaques de fer imbriquées, et cette image du rhinocéros se perpétue au moins deux siècles et réapparaît dans les livres des explorateurs et des zoologues (qui ont vu de vrais rhinocéros et savent qu'ils n'ont pas d'écailles imbriquées, mais ne parviennent pas à représenter la rugosité de leur peau autrement que par ces écailles, parce qu'ils savent que, seuls, ces signes graphiques conventionalisés peuvent dénoter « rhinocéros » pour le destinataire du signe iconique [Gombrich, Art and illusion chap. 2, « Vérité et formule stéréotypée »].
Mais il est vrai que Dürer et ses imitateurs avaient tenté de reproduire d'une certaine manière certaines conditions de la perception que la représentation photographique du rhinocéros, au contraire, laisse de côté ; dans le livre de Gombrich, le dessin de Dürer est indubitablement risible à côté de la photo d'un vrai rhinocéros, qui apparaît avec une peau presque lisse et uniforme ; mais nous savons que, si nous examinions de près la peau d'un rhinocéros, nous y verrions un tel jeu de rugosités que, sous un certain angle (dans le cas, par exemple, d'un parallèle entre la peau humaine et la peau de rhinocéros) l'emphatisation graphique de Dürer, qui donne aux rugosités une évidence excessive et stylisée, serait bien plus réaliste que l'image photographique qui, par convention, ne rend que les grandes masses de couleurs et uniformise les surfaces opaques en les distinguant au plus par des différences de ton. »

Illustrations fournies par Gombrich :