… une fois n’est pas coutume, une rapide mise au point :
Je mets en ligne ce texte de Bernardin de Saint-Pierre non pas malgré mais en raison de sa faiblesse littéraire et de sa niaiserie sentimentale. On retrouve ici en particulier cette tendance de l’auteur à projeter sur la nature des intentions de type humain (anthropomorphisme), qui aboutit à des propos mémorables sur la ‘bienveillance’ de la Nature (‘providentialisme’).
Bernardin ami de Rousseau, et disciple bien réducteur.
Saint-Pierre (Bernardin de), Mémoire sur la ménagerie (O.C. t. VIII) :
« Un beau Lion, arrivé du Sénégal en septembre 1788. Il avait alors sept à huit mois, ainsi qu'un chien braque, son compagnon, avec lequel il a été élevé. Leur amitié est un des plus touchants spectacles que la nature puisse offrir aux spéculations d'un philosophe. J'avais lu dans les voyages de Jean Mocquet, fondateur et garde du cabinet des singularités du roi, sous Henri IV, l'histoire d'un chien qu'il avait vu à Maroc dans la fosse aux lions, où on l'avait jeté pour être dévoré : il y vivait paisiblement sous la protection du plus fort d'entre eux, qu'il s'était attirée en le flattant et lui léchant une gale qu'il avait sous le menton. Mais l'ami du lion de Versailles est plus intéressant que le protégé du lion de Maroc. Dès qu'il nous aperçut, il vint avec le lion à la grille, nous faisant fête de la tête et de la queue. Pour le lion, il se promenait gravement le long de ses barreaux, contre lesquels il frottait sa tête énorme. L'air sérieux de ce terrible despote, et l'air caressant de son ami, m'inspirèrent pour tous deux le plus tendre intérêt. Jamais je n'avais vu tant de générosité dans un lion, et tant d'amabilité dans un chien. Celui-ci sembla deviner que sa familiarité avec le roi des animaux, était le principal objet de notre curiosité. Cherchant à nous complaire dans sa captivité, dès que nous lui eûmes adressé quelques paroles d'affection, il se jeta d'un air gai, sur la crinière du lion, et lui mordit en jouant les oreilles. Le lion se prêtant à ses jeux, baissa la tête, et fit entendre de sourds rugissements. Cependant ce chien si complaisant et si hardi portait à son côté une cicatrice toute rouge, qu'il léchait de temps en temps, et qu'il semblait nous montrer comme les effets d'une amitié trop inégale. J'admirais la gaieté franche du chien sans rancune et sans méfiance auprès de son redoutable ami, après une si cruelle injure. Toutefois les caprices, l'humeur, les premiers mouvements, sont plus rares et ont des suites moins dangereuses dans leur société, que dans la plupart de celles des hommes. Le lion se livre très-rarement à la colère envers son compagnon. On nous assura qu'il l'invitait souvent à se jouer, en se mettant sur le dos les pattes en l'air, et le serrant entre ses bras. »