Goncourt, Journal 22 août 1874, Bouquins t. 2 p. 588 :
"Il ne faut pas oublier dans un coin un groupe de Suissesses, au corsage de linge blanc, silencieuses, les bras croisés sur la poitrine. Elles formaient un cercle de femmes, se regardant avec des regards vagues, et un peu exaltés, – les regards qu’elles ont à l’église.
Soudain du milieu d’elles, un chant s’est élevé, un chant triste, comme une mélancolie de montagne. Et sans s’occuper de ceux qui étaient là, et comme pour se faire plaisir à elles-mêmes, toutes à leur chant, ces femmes ont continué à vous remuer douloureusement l’âme, avec leurs voix. Leurs chants, peu à peu, je ne sais comment, ont fait renaître le souvenir, et m’ont rappelé que là, où j’allais passer aujourd’hui, j’y avais passé, il y a vingt ans, avec mon frère. Alors pendant que, la tête basse, les yeux roulant des larmes, je tracassais, de mon bâton, les cailloux, j’entendais de Behaine, éclater en un long sanglot. Ces chants, ces modulations, ces plaintes musicales avaient fait, tout à coup, remonter à la surface de nos cœurs saignants et vides, des douleurs enterrées, – lui, son Armand, moi, mon Jules, – et tous deux, nous repleurions nos bien-aimés."