mardi 6 octobre 2020

Anonyme (épidémie, 1414)

 Journal d'un bourgeois de Paris à la fin de la guerre de cent ans : 

« Il arriva en effet selon le bon plaisir de Dieu qu’un mauvais air corrompu fondît sur le monde, qui fit perdre le boire, le manger et le sommeil à plus de cent mille personnes à Paris. On avait deux ou trois fois par jour une très forte fièvre, surtout chaque fois qu’on mangeait ; toute nourriture vous paraissait amère, très mauvaise et puante ; où que l’on soit, on tremblait ; enfin, ce qui était bien pis, le corps perdait toutes ses forces. Ce mal dura sans cesser trois semaines et plus, et commença vraiment vers le début mars : on l’appelait le tac ou le horion. Et ceux qui ne l’avaient pas ou qui en étaient déjà guéris, se moquaient des autres en disant : « L’as-tu ? Par ma foi, tu as chanté : Votre c.n a la toux, commère ! » Car en plus de tout ce que je viens de dire, ce mal donnait une toux si forte, un rhume si cruel, un tel enrouement qu’on ne chantait plus de grands-messes à Paris et que plusieurs, à force de tousser, se rompirent les organes génitaux, pour le reste de leur vie. Des femmes qui, enceintes, étaient loin de leur terme, accouchèrent prématurément sans l’aide de quiconque, à force de tousser, ce qui ne manquait pas d’entraîner la mort pour la mère et pour l’enfant. Quand la guérison approchait, les malades rejetaient beaucoup de sang par la bouche, le nez et par en dessous, ce qui ébahissait beaucoup ; et pourtant, personne n’en mourait. Mais on avait du mal à guérir, car il fallait bien compter six semaines après la guérison complète, avant que l’appétit ne revînt ; et aucun médecin ne savait dire de quel mal il s’agissait. »