Huxley, Le Génie et la déesse (Livre de Poche) traduction Castier p. 64-66 :
« ... [il] était amoureux, et possédait au moins dix fois plus de vie et d'énergie qu'aux moments ordinaires. Et le monde dans lequel il vivait - comme il était totalement transfiguré ! Je me souviens de la façon dont il regardait les paysages ; et les couleurs étaient incomparablement plus vives, les motifs que composaient les choses dans l'espace étaient incroyablement beaux. Je me souviens des regards qu'il jetait autour de lui dans les rues, et Saint-Louis, vous me croirez si vous le voulez, était la ville la plus magnifique qui eût jamais été construite. Les gens, les maisons, les astres, les Ford modèle T, les chiens arrêtés aux réverbères - tout était plus significatif. Significatif, demanderez-vous, de quoi ? Et la réponse, c'est : d'eux-mêmes. C'étaient là des réalités, et non des symboles. Goethe avait absolument tort. Alles vergängliche N'EST PAS un Gleichnis*. A chaque instant, chaque chose transitoire est éternellement cette chose transitoire. Ce qu'elle signifie, c'est son être propre, et cet être (comme on le voit si nettement quand on est amoureux) est le même que l'Être avec le plus grand E possible. Pourquoi aimez-vous la femme dont vous êtes amoureux ? Parce qu'elle est. Et c'est là, après tout, la définition de Dieu par Lui-Même : Je suis ce que je suis. La femme est qui elle est. Une partie de son fait d'être déborde, et imprègne l'univers tout entier. Les objets et les événements cessent d'être de simples représentants de classes, et deviennent leur propre unicité ; ils cessent d'être les illustrations d'abstractions verbales, et deviennent pleinement concrets. Puis on cesse d’être amoureux, et l’univers s’effondre, avec un petit cri de dérision presque imperceptible, pour reprendre son insignifiance normale. Puis on cesse d’être amoureux, et l’univers s’effondre, avec un petit cri de dérision presque imperceptible, pour reprendre son insignifiance normale. Pourrait-il jamais demeurer transfiguré ? Peut-être bien. Peut-être est-ce simplement une question d’être amoureux de Dieu.»
* tout ce qui est éphémère n’est pas une parabole
« [He] was in love, and had at least ten times more life and energy than at ordinary times. And the world he was living in - how totally transfigured ! I remember how he looked at landscapes ; and the colours were incomparably brighter, the patterns that things made in space unbelievably beautiful. I remember how he glanced around him in the streets, and St Louis, believe it or not, was the most splendid city ever built. People, houses, trees, T-model Fords, dogs at lamp-posts - everything was more significant. Significant, you may ask, of what ? And the answer is : themselves. These were realities, not symbols. Goethe was absolutely wrong. Alles vergängliche is NOT a Gleichnis. At every instant every transience is eternally that transience. What it signifies is its own being, and that being (as one sees so clearly when one's in love) is the same as Being with the biggest possible B. Why do you love the woman you're in love with? Because she is. And that, after all, is God's own definition of Himself : I am that I am. The girl is who she is. Some of her isness spills over and impregnates the entire universe. Objects and events cease to [be] the mere representatives of classes and become their own uniqueness ; cease to be illustrations of verbal abstractions and become fully concrete. Then you stop being in love, and the universe collapses, with an almost audible squeak of derision, into its normal insignificance. Could it ever stay transfigured ? Maybe it could. Maybe it's just a question of being in love with God. »