Lewis (Roy), Pourquoi j'ai mangé mon père, trad. Vercors-Barisse, chap. 6 :
[l’évolution de l’humanité vue à travers une famille préhistorique (de fantaisie)]
« - Qu'est-ce que tu étais en train de faire? rugit oncle Vania.
- J'étais... je... simplement, dit Alexandre en sanglotant et il s'effondra. Il tenait en main une longue braise éteinte, et tout son corps était zébré de noir.
- Outrage ! Outrage ! tonnait oncle Vania.
- Mais qu'y a-t-il ? dit père en s'avançant pour voir.
Nous nous approchâmes tous, et poussâmes un cri de surprise.
Là, sur le plancher rocheux, il y avait l'ombre d'oncle Vania, mais séparée de lui, immobile. Son ombre sans aucun doute possible : personne n'eût pu se tromper sur ces vastes épaules voûtées, ces jambes velues, ce dos courbé, ces fesses broussailleuses, cette mâchoire prognathe et surtout, surtout ce bras simiesque étendu dans un geste d'accusation typique. Et voici, l'ombre était là, immuable et fixée de la façon la plus étonnante, au milieu de nos ombres à nous qui dansaient et frémissaient dans la lumière du feu.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda l'oncle Vania d'une voix terrible, bien qu'il ne pût y avoir qu'une seule réponse désastreuse.
- De l'art fi-figuratif, sanglota Alexandre.
- Sale mouflet! hurla oncle Vania. Qu'as-tu fait de mon ombre?
- Tu l'as toujours, dit père pour l'apaiser. Ou bien il t'en est poussé une seconde très vite. Regarde derrière toi.
- Ah ! dit oncle Vania. Sa rage se fit moins violente. Le fait est, je l'ai. Mais je ne permettrai à personne, fût-ce pour un moment, qu'il ampute mon ombre. »