Brunschvicg Léon, Un Ministère de l’éducation nationale (1922) p. 77 :
« La distinction entre l'orthographe et l'arithmétique touche, si l'on y réfléchit, le fond des conceptions dont l'antagonisme traverse l'histoire de l'humanité, depuis le jour où Xénophane et Socrate ont mis en lumière l'opposition entre la littéralité matérielle des cultes positifs et la conscience véritable de l’être intérieur.
Le Dieu de l'orthographe, c'est le faux Dieu. Il a édicté des règles bizarres qui révoltent la raison, qui mettent hors de gamme le jugement et la réflexion ; il manifeste ainsi la toute-puissance d'un commandement extérieur, matériel et arbitraire, auquel force est de se soumettre, sous peine d'être honni, renié, châtié.
Le Dieu de l'arithmétique est le vrai Dieu ; car l'arithmétique assure à chaque individu, avec le discernement et la conscience de sa puissance vérificatrice, l'autonomie de l'intelligence et la maîtrise de soi ; il fait surgir, à l'intérieur de chacun de nous, l'universalité en même temps que la liberté de l'esprit ; il fonde, sur la base indissoluble de la vérité, l'unité de la communauté humaine.
[…] Tout est perdu tant que l'on confond la règle conventionnelle et la loi rationnelle, tant que ce qui devait être science arithmétique est enseigné comme une technique suivant les procédés appliqués à l'enseignement de l'orthographe. Au contraire, tout sera gagné dès que l'enfant aura conquis ce sentiment qu'il existe des problèmes dont la solution sera, pour lui et par lui, objet de découverte et de preuve, au rebours de la règle qui s'impose du dehors par la contrainte de la société. […] »