Biran, Journal vol.1 p. 78 13 mai 1815 :
« L'âme de la nature, dit Madame de Staël*, se fait connaître à nous de toutes parts et sous mille formes diverses. La campagne fertile comme les déserts abandonnés, la mer comme les étoiles, sont soumises aux mêmes lois, et l'homme renferme en lui-même des sensations, des puissances occultes, qui correspondent avec le jour, avec la nuit, avec l'orage et le calme : c'est cette alliance secrète de notre être avec les merveilles de l'univers et les beautés primitives de la création, qui donne à la poésie sa véritable grandeur ; il ne suffit pas de voir la nature, il faut la sentir. S'unir à elle par une étroite sympathie et pour ainsi dire s'identifier avec cette [belle] nature, pour prendre comme il faut ses effets sur toute notre existence et exprimer cette ivresse de bonheur dont les attraits pénètrent l'âme faite pour les sentir. »
* De L'Allemagne ch. IX : De la contemplation de la nature.
Constant, Mélanges de littérature et de politique :
« Une grande correspondance existe entre tous les êtres moraux et physiques. Il n'y a personne, je le pense, qui, laissant errer ses regards sur un horizon sans bornes, ou se promenant sur les rives de la mer que viennent battre les vagues, ou levant les yeux vers le firmament parsemé d'étoiles, n'ait éprouvé une sorte d'émotion qu'il lui était impossible d'analyser ou de définir. On dirait que des voix descendent du haut des cieux, s'élancent de la cime des rochers, retentissent dans les torrents ou dans les forêts agitées, sortent des profondeurs des abîmes. »
Hölderlin, À la nature, Poèmes de jeunesse, 1789-1794 trad. Bianquis :
« Quand je m’en allais au loin sur la lande aride
Où montait du fond des gorges sombres
Le chant révolté des torrents,
Quand les nuées m’environnaient de leurs ténèbres
Quand la tempête à travers les montagnes
Déchaînait ses rafales furieuses,
Et que le ciel m’enveloppait de flammes
Alors tu m’apparaissais, âme de la Nature ! »
Wenn ich fern auf nackter Heide wallte,
Wo aus dämmernder Geklüfte Schoß
Der Titanensang der Ströme schallte
Und die Nacht der Wolken mich umschloß,
Wenn der Sturm mit seinen Wetterwogen
Mir vorüber durch die Berge fuhr
Und des Himmels Flammen mich umflogen,
Da erschienst du, Seele der Natur !
cf. cette phrase de Gaétan Picon :
"Ce que le monde donne à l'âme de présence, ce que l'âme donne au monde de signification, leur respiration commune, leur consanguinité pressentie : telle est l'expérience de la lyrique romantique dans ce qu'elle a de meilleur et de plus fécond."