samedi 10 août 2019

Aymé


Aymé (Marcel) Uranus chap. X : 
« Dans l’ombre tiède où ils étaient allongés, une torpeur agréable commençait à les envahir et Archambaud se sentait assez disposé, pour l’instant, à tabler sur la faveur d’un hasard. Watrin contemplait la grande campagne verte dont les faibles ondulations s’étiraient parallèlement à la rivière. Il n’arrivait pas à s’en rassasier la vue et l’esprit. Ce grand foisonnement végétal, d’un vert luxuriant, un peu gras, faisait lever en lui un sentiment de bonheur, de puissance et d’enthousiasme tranquille. Bien qu’il fût très satisfait de sa condition d’homme, il éprouva un moment l’envie d’être un arbre, par exemple un orme au bord de la rivière. Il avait ses racines dans la bonne terre humide du rivage. La vapeur de l’eau tiède montait dans ses feuilles, y déposant une buée grasse et, portées par la sève, il sentait dans son corps, dans ses branches et dans ses rameaux, toute la richesse et toute la bonté de la terre. Il aimait les pâquerettes et les boutons d’or qui poussaient dans son ombre et, afin de mieux les abriter du soleil, il s’efforçait de pousser son feuillage de leur côté, évitant même de se pencher exagérément sur la rivière, comme faisaient certains ormes de son entourage. Il pensa aussi, et avec non moins de plaisir, à être simplement une grosse touffe d’herbe au milieu des prés. A vrai dire, il y a des moments assez durs. On a beau être une bonne touffe d’herbe, le soleil se pousse entre les brins et sa chaleur arrive à dessécher la terre où l’on est enraciné […] »