samedi 10 août 2019

Littré (hérédité)


Littré : Médecine et Médecins, pp. 373-374 : 
    "L'hérédité pèse d'un poids immense dans les destinées de tout ce qui a vie. C'est un puissant modificateur des formes, des propriétés, de la santé, de la maladie, du caractère. On sait tout le parti qu'on en a tiré pour améliorer certaines races domestiques. On a fait par cet intermédiaire des bœufs, des chevaux, des moutons, pour des services déterminés. Et comme, en définitive, l'homme n'est que le premier des animaux, et que les forces qui régissent leur existence régissent aussi la sienne, il n'est pas douteux que l'hérédité ne doive tenir une grande place dans un plan bien entendu d'hygiène publique. Les sociétés européennes, qui aujourd'hui constituent l'élite de l'humanité, sont gravement préoccupées par leurs efforts contre des institutions anciennes qui, de tutélaires qu'elles ont été, sont devenues rétrogrades et oppressives. Mais quand cette lutte sera terminée, quand tout ce qui est parasite et à ce titre cause de trouble et de désordre aura disparu, alors tous les soins de l'intelligence se dirigeront vers le meilleur emploi des ressources sociales. Et la biologie, avec les arts qui en dérivent, interviendra dans ce remaniement des conditions relativement grossières au milieu desquelles se passe encore notre existence. Horace, d'accord en cela avec toute l'Antiquité, a dit : nos pères valaient moins que leurs pères, nous valons moins que les nôtres, et nos enfants vaudront moins que nous. C'est le contraire qui est la vérité. La civilisation, par l'entremise de l'hérédité, développe justement les facultés par lesquelles l'humanité se distingue spécialement du reste de l'animalité, et subordonne, sans pouvoir les éteindre, ce qui d'ailleurs n'est ni possible ni même intelligible, les tendances plus spécialement animales, qui font parfois de terribles retours. Prétendre que le naturel humain va en se dévastant de plus en plus, ce serait comme si on soutenait que les générations se transmettent la terre de plus en plus déserte, inculte, impraticable. Et en effet, la même croyance plaçait dans les époques primitives un Eden, un Paradis, un Age d'or. Au fait, les champs défrichés, les forêts abattues, les rivières contenues dans leur lit, les marais desséchés, les ponts, les routes, les maisons, les villes, ne sont pas, tout prodigieux que soient les travaux exécutés et transmis, la meilleure partie de ce que les hommes qui nous ont précédés dans la vie nous laissent en héritage. Il faut mettre au premier rang du legs fait par eux, et au premier chef de notre pieuse reconnaissance pour les ancêtres, l'amélioration de notre nature intellectuelle et morale."