Romains, Les Hommes de bonne volonté t. 4 [suite] p. 115 :
"Mais il se dégage un sentiment encore plus subtil, qui enveloppe en outre un conseil ; comme une recette magique, écrite sur un bout de papier plié qu'on vous glisserait dans la main :
Vous êtes présent à quelque chose de révolu. Ce qui est présent est aussi révolu, tout entier, en un sens et quelque part. Dès que vous le savez. vous ne souffrez plus, ni pour lui, ni pour vous à cause de lui ; vous ne vous inquiétez plus. Aucune angoisse pour ce qui va suivre. L'avenir n'est effrayant, ne gâche le présent de son ombre, ne lui fait peur avec ses terribles ailes de vautour, qu’autant que le présent n'est pas allé chercher refuge dans le temps révolu. Une fois blotti là, il est invulnérable.
Vous ne pouvez pas obliger ces gens qui passent à le savoir, à se vivre eux-mêmes comme si tout cela était révolu et tranquille. Mais vous, vous êtes un passant d'une autre espèce, tombé d'un autre monde, et qui avez gardé autour de vous, comme une enveloppe respirable, le temps de cet autre monde. Vous vous mêlez aux êtres et aux mouvements. Vous en jouissez bien mieux. Vous avez envie de souffler aux oreilles des hommes, des femmes : « Si vous saviez comme tout cela est doucement étrange et inoffensif, vu d'où je suis ! »
Il se faisait en outre une certaine surimpression de la scène d'autrefois sur celle de maintenant. Mais cette complication n'avait pas d'importance En un sens. aucune des deux scènes n'était plus ancienne que l'autre. Toutes deux étaient plongées dans le même bain de passé protecteur. Elles pouvaient faire des échanges."