Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, (Théorie de la représentation intuitive) trad. Burdeau :
"Le point où le nerf auditif prend naissance explique donc le grand trouble que les sons apportent dans la pensée ; c’est à cause de ce trouble, que les gens qui réfléchissent et en général les gens intelligents sans exception, ne peuvent supporter le bruit. Cela rompt en effet le cours normal de leurs pensées ; la réflexion s’arrête au milieu de ce tumulte, parce que l’ébranlement du nerf auditif se propage très avant dans le cerveau, dont la masse tout entière est troublée par la commotion du nerf auditif et les vibrations qu’il produit, et aussi parce que le cerveau de ces gens-là est beaucoup plus excitable que les cerveaux ordinaires. Cette grande mobilité et cette force directrice qu’ont certains cerveaux, nous expliquent comment, chez eux, la moindre pensée éveille aussitôt ses analogues, ou celles qui lui sont associées. C’est pour cela que les ressemblances, les analogies et les rapports des choses les frappent si facilement et si vite. De là vient qu’une même occasion peut se présenter mille et mille fois à des cerveaux ordinaires, elle ne force que certains cerveaux à réfléchir, et les amène à des découvertes, que d’autres s’étonnent ensuite de n’avoir pas faites, parce que, s’ils peuvent sans doute réfléchir après d’autres, ils sont incapables de penser spontanément. Ainsi le soleil luit pour toutes les colonnes, mais seule la colonne de Memnon en est ébranlée."