mardi 4 juillet 2023

Sallenave (roman 2/3)

Sallenave, Le Don des morts 1991 [suite] : 

"L'illusion littéraire suppose un consentement à la croyance temporaire dans la réalité imaginaire des choses fictives. « Héros » d'Homère ou personnage de Balzac, ou simple voix, sans corps ni sexe, de la fiction moderne, le personnage est « entre deux mondes », issu de l'expérience imaginaire ou réelle de l'auteur, et de l'agencement « mimétique » de ses actions, le personnage vient vers le lecteur comme une proposition à achever. Pour parvenir à cette fin, l'auteur a dû lui-même se métamorphoser en un être de fiction, en une figure de pensée, le narrateur, qui se constitue dans l'ordre même qu'il impose à ses objets. L'auteur, en un sens, est devenu un personnage de son propre roman, il se met lui aussi à exister « entre deux mondes », entre le monde de la fiction et le monde vrai auquel il appartient encore un temps. C'est sur ce modèle que le lecteur va plus tard se couler.

Ce battement du réel et de l'imaginaire qui nous saisit pendant la lecture est l'essence de la fiction dramatique ou épique. Une feinte, tout entière au service de la création romanesque, du bonheur du lecteur, du fonctionnement de la fiction. Car l'essentiel est là : le relais maintenant peut être pris ; c'est au lecteur d'agir. La pensée s'est emparée de son objet, les actions (et les passions) ; elle en a constitué la figuration nécessaire pour que nous puissions y entendre notre voix, et tenter, espérer, d'y « éclairer notre énigme ». A la compréhension des causes s'adjoint alors l'allégement des passions passées par le filtre de la raison."

[à suivre]